La récente visite du président de la Guinée-Bissau, Umaro Sissoco Embaló, à Moscou marque une nouvelle étape dans le rapprochement entre la Russie et l’Afrique de l’Ouest. Accueilli par Vladimir Poutine au Kremlin, Embaló a réaffirmé les liens d’amitié entre son pays et la Russie, soulignant une relation « fraternelle » qui s’étend sur plusieurs décennies.
Cette rencontre s’inscrit dans une dynamique plus large où Moscou cherche à renforcer son influence économique et sécuritaire en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, notamment à travers des accords en matière d’exploitation minière, d’infrastructure, d’énergie et d’agriculture. Alors que la Russie tente de diversifier ses partenaires internationaux dans un contexte géopolitique tendu, la Guinée-Bissau apparaît comme une porte d’entrée stratégique dans la région.
Cependant, cette visite ne peut être dissociée du climat politique tendu qui prévaut actuellement en Guinée-Bissau. Alors que l’opposition conteste la légitimité du mandat du président Embaló, affirmant qu’il arrive à échéance ce jeudi, la Cour suprême a statué que son terme officiel prendra fin le 4 septembre.
Cette incertitude politique pose une question cruciale : jusqu’à quel point ces engagements internationaux peuvent-ils être viables alors que la stabilité institutionnelle du pays est menacée ? La rencontre entre Embaló et Poutine, bien que présentée sous un angle économique, soulève ainsi des interrogations sur les enjeux politiques sous-jacents et sur les véritables intérêts en jeu.
Dans cet article, nous examinerons d’abord les implications stratégiques du rapprochement entre Moscou et Bissau, en mettant en lumière les motivations économiques et diplomatiques qui sous-tendent cette alliance. Ensuite, nous analyserons comment cette initiative s’inscrit dans un contexte de fragilité politique interne en Guinée-Bissau et quelles en pourraient être les répercussions pour le pays et pour la région.
Un rapprochement stratégique entre Moscou et Bissau
L’intérêt croissant de la Russie pour l’Afrique de l’Ouest ne date pas d’hier, mais il s’est accéléré ces dernières années à mesure que Moscou cherche à diversifier ses alliances. En Guinée-Bissau, un pays riche en ressources naturelles mais économiquement fragile, la Russie voit une opportunité de renforcer son influence, notamment dans des secteurs clés comme l’exploitation minière et l’énergie.
La rencontre entre Embaló et Poutine s’inscrit dans cette logique, avec la promesse d’un partenariat économique élargi qui pourrait profiter aux deux parties. La Russie, isolée sur le plan international depuis la guerre en Ukraine, cherche à développer de nouveaux marchés et à tisser des liens commerciaux avec des nations en quête d’investissements.
Le choix de la Guinée-Bissau comme partenaire stratégique peut sembler surprenant, compte tenu de la taille modeste de son économie, mais il s’explique par plusieurs facteurs. Le pays possède des ressources inexploitées dans les domaines de la pêche, du bois et des minerais, notamment la bauxite et le phosphate, qui attirent les convoitises des grandes puissances.
Par ailleurs, en tant que petit État d’Afrique de l’Ouest, il offre à la Russie une nouvelle porte d’entrée vers la région, un levier d’influence pour étendre ses réseaux économiques et diplomatiques. Moscou applique ici une stratégie similaire à celle déjà observée au Mali et en Centrafrique, où elle a renforcé sa présence par des accords économiques et sécuritaires.
Outre les aspects économiques, l’alliance entre la Russie et la Guinée-Bissau s’inscrit également dans une dynamique géopolitique plus large. La Russie, en quête de partenaires en dehors de l’axe occidental, cherche à séduire les pays africains en leur proposant des alternatives aux modèles de coopération occidentaux.
L’Afrique de l’Ouest, où les frustrations face aux anciens partenariats coloniaux persistent, représente une cible privilégiée pour cette approche. Embaló, en affichant son rapprochement avec Moscou, envoie un message clair : son pays est prêt à diversifier ses alliances et à jouer sur plusieurs tableaux pour maximiser ses opportunités.
Toutefois, si la Russie peut offrir des opportunités de développement à la Guinée-Bissau, l’expérience de ses autres partenaires africains invite à la prudence. Au Mali et en Centrafrique, par exemple, la présence russe a été accompagnée d’un renforcement de la dépendance vis-à-vis de Moscou, notamment sur le plan sécuritaire.
L’enjeu pour la Guinée-Bissau est donc d’éviter de se retrouver enfermée dans une relation déséquilibrée où les bénéfices économiques ne profiteraient qu’à court terme. Il reste à voir si le pays saura tirer parti de cette nouvelle alliance sans compromettre sa souveraineté ou ses relations avec d’autres partenaires internationaux.
Une alliance sur fond d’instabilité politique
Alors que le président Embaló négociait de nouveaux accords à Moscou, son pays était en proie à une crise politique qui remet en question la stabilité de son mandat. L’opposition affirme que son mandat présidentiel prend fin immédiatement, tandis que la Cour suprême de Guinée-Bissau a statué que son terme officiel court jusqu’au 4 septembre.
Cette divergence a conduit à une menace de paralysie politique, alors que des tensions montent au sein de la classe politique et dans la rue. Ce contexte pose une question essentielle : les engagements internationaux pris par un président contesté peuvent-ils être durables et crédibles à long terme ?
L’histoire récente de la Guinée-Bissau montre que l’instabilité institutionnelle y est un problème récurrent. Depuis son indépendance en 1974, le pays a connu plusieurs coups d’État, des conflits internes et des changements de gouvernement abrupts.
Cette fragilité politique rend toute coopération internationale incertaine, car les engagements pris par une administration peuvent être remis en cause par la suivante. En signant de nouveaux accords avec la Russie à un moment où son mandat est contesté, Embaló risque d’exacerber les divisions internes et de fragiliser davantage sa position.
L’opposition pourrait se servir de cette visite en Russie comme un argument contre lui, en l’accusant de chercher des soutiens extérieurs pour asseoir son pouvoir au lieu de résoudre les tensions internes. En Guinée-Bissau, comme ailleurs en Afrique, les dirigeants en difficulté ont souvent cherché à légitimer leur pouvoir par des alliances internationales.
Le fait qu’Embaló s’affiche aux côtés de Poutine, un dirigeant critiqué pour son autoritarisme, pourrait renforcer les soupçons de ses détracteurs et compliquer davantage la situation politique intérieure.
Enfin, au-delà de la situation immédiate, cette crise politique pourrait avoir des conséquences sur les relations de la Guinée-Bissau avec ses autres partenaires internationaux. L’Union européenne et la CEDEAO, qui jouent un rôle clé dans la stabilité du pays, suivent de près cette évolution.
Si l’opposition parvient à mobiliser une contestation significative, la Guinée-Bissau risque de se retrouver isolée sur la scène internationale. Dans ce contexte, le rapprochement avec Moscou pourrait être perçu comme une tentative désespérée de renforcer un pouvoir fragilisé, plutôt qu’une stratégie économique mûrement réfléchie.
Conclusion
Le rapprochement entre la Russie et la Guinée-Bissau illustre la stratégie de Moscou en Afrique de l’Ouest. Si diversifier les partenariats est essentiel, ces alliances doivent être équilibrées et bénéfiques aux populations. Trop souvent, des engagements motivés par des intérêts politiques immédiats finissent par peser sur la souveraineté des États africains.
L’instabilité politique en Guinée-Bissau jette une ombre sur ces accords. Sans une gouvernance stable, aucun partenariat ne peut garantir un développement durable. L’incertitude autour du mandat présidentiel souligne l’urgence d’un consensus national avant toute ouverture économique extérieure.
L’Afrique doit s’assurer que ses coopérations renforcent son autonomie plutôt que de la fragiliser. Pour la Guinée-Bissau, l’enjeu est d’éviter de devenir un simple levier d’influence extérieure et de privilégier des accords transparents, axés sur des bénéfices réels et durables.