La tension s’est intensifiée dans l’est de la République démocratique du Congo au début de l’année en dépit des efforts du récent sommet de l’Union africaine (16-17 février 2024) pour empêcher la crise de se transformer en affrontements militaires régionaux directs entre la République démocratique du Congo et le Rwanda, et embraser d’autres pays à l’instar de Burundi et l’Ouganda.
Le sommet a également été marqué par des échanges directs entre le président congolais Félix Tshisekedi et le président rwandais Paul Kagame alors qu’ils participaient aux activités du sommet (18 février dernier), qui ont révélé l’ampleur des tensions entre les deux pays et la difficulté de parvenir à des solutions de compromis acceptables.
D’autant plus que les États-Unis et la France sont entrés dans la ligne de crise et ont proféré (le 20 février et en mars) des accusations sans précédent contre le Rwanda d’implication dans le soutien au mouvement.
Le groupe rebelle M23 au Congo, lui-même classé groupe terroriste, tandis que le ministère rwandais des Affaires étrangères a répondu directement à Paris, en lui rappelant qu’il est la cause principale de toute la crise à l’est du Congo avec ses interactions au-delà des frontières du Congo( pays de la région des Grands Lacs) il y a environ trois décennies (en référence au génocide dans la région qui s’est terminé en 1994 ).
Malgré les efforts qui se sont poursuivis depuis le début de cette année jusqu’à la mi-mars, les rebelles du M23 ont intensifié leurs attaques dans l’est du Congo et ont réussi à s’emparer de la ville de Nyanzale (5 mars), située à 130 km au nord de la ville de Goma, et abrite des milliers de citoyens déplacés à l’intérieur du pays (1)
«Israël d’Afrique» et la persistance de la crise au Congo:
Avant la mi-mars, le président rwandais Paul Kagame a consolidé le renforcement de son emprise sur l’administration de son pays à travers l’approbation du parti au pouvoir le « Front patriotique rwandais », samedi 9 mars 2024 à 99,1 % , sa désignation comme candidat présidentiel pour un quatrième mandat depuis son occupation officielle de ce poste en 2000 et sa gouvernance effective du pays depuis 1994 (2) .
Ainsi, il rejoint le rang des présidents africains les plus autoritaires et les plus anciens ; malgré le rôle régional qu’il joue en termes de promotion de la démocratie, de la bonne gouvernance et de la réforme institutionnelle. Parallèlement à ces développements, Kagame a réduit son entêtement apparent d’interférer dans la crise à l’est du Congo et son soutien continu aux mouvements d’opposition armés contre le gouvernement de Kinshasa, notamment le Mouvement.M23.
Cependant, Kagame a pris part au mini-sommet de l’Union africaine pour discuter de la crise congolaise (présidé par l’Angolais Joao Lourenço, qui tente ces derniers mois de faire du processus de paix de Luanda entre les deux pays un succès sous les auspices de l’union, accompagné de Tshisekedi, le Kenyan William Ruto, le Sud-Africain Cyril Ramaphosa et le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki) ce qui a attisé davantage les tensions régionales.
En effet, il n’a pas œuvré en faveur de compromis et de solutions réalistes, en revanche, le Rwanda, qui porte par excellence le titre d’« Israël d’Afrique » -pour diverses raisons- a appelé les Nations Unies dans la foulé à reconsidérer ses intentions de soutenir la mission de ses contingents formée par la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC).
La SADC (dirigée par l’Afrique du Sud et une participation significative de la Tanzanie) a dépêché des troupes dans la région en décembre 2023, accusant spécifiquement Pretoria de partialité envers le Congo. Les accusations de Kigali visaient également les forces burundaises, les « Forces démocratiques pour la libération du Rwanda », ce qu’il a décrit comme des « groupes de mercenaires européens » et un groupe de « milices congolaises ».
Ce qui dans son ensemble représente une « alliance de soutien » pour Kinshasa. Ainsi, les accusations de Kigali – qui affectaient de manière préventive toute action de l’ONU sur le terrain – ont vidé le mini-sommet de son sens, le premier adhérant aux justifications de la présence de ses forces militaires directement à l’intérieur du territoire de l’est du Congo et exigeant que Kinshasa affronte les « forces démocratiques » accusées d’être impliquées dans les actes de génocide dont la région a été témoin il y a trois décennies.
Quelques heures après la fin du mini-sommet sans résultats significatifs, Kigali (19 février) a rejeté la demande explicite des États-Unis de retirer leurs forces et leurs systèmes de missiles (qu’ils avaient déployés à l’intérieur du territoire congolais sous prétexte de «défendre le territoire rwandais ») et lui alertant l’escalade du renforcement de capacités militaires qu’opère le Congo « près de la frontière » (avec un soutien chinois important d’ailleurs depuis l’année dernière).
Le communiqué du ministère rwandais des Affaires étrangères confirme que le groupe des « Forces démocratiques » continue de menacer « la sécurité nationale du Rwanda » et qu’il est « pleinement intégré à (au sein) de l’armée congolaise ». En plus, le Kigali n’a reconnu la présence d’aucune de ses forces armées à l’intérieur du territoire du Congo, malgré les déclarations officielles américaines et françaises confirmant que ces forces ont violé la souveraineté de la République du Congo et que les preuves résident mêmes dans les réponses rwandaises sur le terrain.
Les positions de Kigali ont également révélé un vif désir d’approfondir ses politiques proactives pour assurer sa position régionale au milieu des développements économiques et militaires accélérés que connaît la région.
En tout état de cause, le développement le plus récent dans l’approche du Rwanda face à la crise s’est produit à la mi-mars lorsque Kagame a annoncé sa volonté de rencontrer son homologue Tshisekedi pour travailler à la résolution de la crise dans l’est du Congo, et il a reçu une réponse positive immédiate de ce dernier.
L’annonce de Kagame intervient après les efforts de médiation menés par le président angolais João Lourenço au nom de l’Union africaine dans ce dossier. (3) Des résultats tangibles devraient être obtenus dans les semaines à venir.
L’arrivée de Paris et Washington sur la ligne de crise est-elle trop tard ?
La France est apparue à l’avant-garde des pays qui ont critiqué la position du Rwanda dans la crise actuelle et son soutien au groupe M23, qui représente la plus grande menace pour le régime de Tshisekedi et les forces armées congolaises sur le terrain. La position française (et américaine) est arrivée des années après divers rapports publiés par les Nations Unies et des sources locales dans la région sur l’implication incontestable du Rwanda dans le soutien aux mouvements du groupe militaire à l’intérieur du territoire du Congo et sur ses atrocités commises contre des centaines de milliers d’habitants de la région, s’apparentant à des actes de génocide et de déplacement interne, dont le dernier en date a été le lancement de « marches à la bombe rwandaises sur l’aéroport de Goma visant des avions militaires appartenant à l’armée congolaise » dans la ville frontalière, selon un communiqué de cette dernière le 17 février (en conjonction avec le mini-sommet de l’Union africaine).
En tout état de cause, la décision française a surpris Kigali, d’autant plus qu’elle faisait suite aux délibérations du Conseil de sécurité sur la crise (20février) . La France a observé que la crise dépassait les limites du conventionnel, le Rwanda déployant et utilisant (efficacement) des systèmes anti-aériens à l’intérieur du territoire congolais, systèmes qui ne sont en aucun cas liés « aux capacités d’un simple groupe militaire ».
Washington a soutenu la position de la France dans les mêmes délibérations en appelant les forces rwandaises à se retirer du territoire congolais, soulignant la contradiction de la position rwandaise qui signifie que « Kigali, qui fournit des forces aux opérations de maintien de la paix des Nations Unies, peut agir pour affronter l’une de ces « missions militaires », ce qui a provoquée une critique virulente de la part de Paris et Washington, qui font partie des pays alliés qui, ces dernières années, ont assumé des tâches sécuritaires et militaires dans un certain nombre de pays africains (comme le Mozambique et le Bénin), généralement sous l’égide de l’Occident..
Cependant, il semble que la « bataille de Goma » et les perspectives que le Rwanda renforce la capacité du M23 à étendre son contrôle sur cette ville (comme le montrent clairement divers rapports occidentaux sur la capacité du mouvement à s’étendre réellement dans l’est du Congo avec le soutien direct de Kigali) a été décisive dans l’action « officielle » française et américaine des dernières heures contre Kigali.
Des observateurs avertis éprouvent s’attendent à ce qu’un éventuel succès du M23 dans le contrôle de la ville frontalière de Goma impose au régime de Tshisekedi à entamer des pourparlers directs avec le groupe et à répondre prochainement à ses revendications dont les plus importantes consistent leur intégration dans les unités des forces armées et de la sécurité congolaises « sans conditions qui vident le chemin de son contenu », une démarche que Kinshasa rejette et qui, selon ses positions déclarées, voit la nécessité de vaincre militairement le M23 dans un premier temps et leur réinsertion ( avec le reste des groupes armés rebelles au régime) dans la vie civile.
Un autre facteur dans la démarche franco-américaine est aussi la crainte que la pression intense sur Kinshasa ne conduise à un scénario unique, celui du déclenchement d’une guerre ouverte dans la région qui s’étendrait jusqu’au Burundi (qui soutient Kinshasa et se prépare en fait à un conflit),Rwanda, l’Ouganda et impacté sur l’ensemble des perceptions américano-européennes des projets de développement et de la coopération économique dans la région des Grands Lacs, en particulier dans les secteurs minier, énergétique et des infrastructures connexes..
Est-ce la position Chinoise à l’égard de la crise à l’est du Congo est : « Laissez-faire…? ».
Après la réélection de Tshisekedi à la présidence à la fin de l’année dernière, la Chine a conclu d’énormes accords économiques avec Kinshasa, notamment dans le secteur minier (à travers le vaste projet dit Sicomines, situé dans le sud du pays près de la frontière avec l’Angola).
Et en soutenant les capacités militaires de l’armée congolaise ,le président congolais n’a pas manqué d’utiliser ces leviers chinois « promis » pour promouvoir de nouvelles politiques de réformes économiques et politiques dans son pays.
Ainsi, il a annoncé fin janvier dernier (lors de son discours d’introduction à son nouveau mandat présidentiel) son intention d’utiliser les 7 milliards de dollars de « l’accord minier chinois » pour construire des routes et des infrastructures, alors que ses opposants soulignaient que l’accord lui-même manquait de transparence « et n’est pas non plus dans l’intérêt du pays ».
Début février 2024, Kinshasa a confirmé sa ratification des accords miniers avec Pékin « d’une valeur de 5,8 milliards de dollars » et a exposé les grandes lignes d’un projet permettant aux entreprises chinoises de construire un réseau routier au Congo d’une longueur totale pouvant atteindre sept mille kilomètres sur une période de 20 ans et pour un coût total de 7 milliards de dollars.
Mais ce qui est remarquable, c’est que les entreprises chinoises se sont déjà engagées à construire 650 km de routes, pour un coût de 624 millions de dollars rien que cette année, en référence à l’accélération de la présence chinoise sur le terrain et à sa connexion (indirecte et peut-être dans des contextes concurrentiels). avec des projets d’investissement américains et européens dans la région (notamment le projet de corridor Lobito).
La Chine poursuit clairement ses efforts pour approfondir ses intérêts économiques en République démocratique du Congo dans le but de renforcer la coopération économique régionale dans l’ensemble de la région à travers des projets transfrontaliers, en concluant des partenariats plus équilibrés et en n’émettant aucune réserve à l’égard de ces pays pour se lancer dans des projets « compétitifs »
Alors que les efforts chinois ont subi un coup dur début février 2024, avec la signature par les États-Unis (en coopération avec le Japon) d’un protocole d’accord « non contraignant » avec la société Gécamins, le géant minier congolais appartenant à l’État, pour garantir ce que le China Global South Project (CGSP) a décrit le 6 février comme une tentative américaine de sécuriser une zone d’approvisionnement congolaise en ressources critiques «sans présence chinoise».
Et dans la foulé, Pékin a pris l’initiative (23 février 2024) d’annoncer son intention d’approfondir le partenariat stratégique avec la République voisine du Congo (Brazzaville), et continue de soutenir Kinshasa et ses institutions dans la lutte contre les activités des groupes militaires rebelles. Une démarche qui préserve les intérêts chinois dans l’est du Congo de manière durable, en particulier après les incidents de meurtre d’un certain nombre de Chinois travaillant dans la région depuis le milieu de l’année dernière.
La Chine entend intervenir plus efficacement dans les efforts visant à résoudre la crise. Pour éviter d’aggraver les dégâts résultant de la domination du groupe M23 s’est emparé de zones croissantes dans l’est du Congo, au milieu de rapports inquiétants en provenance de Pékin selon lesquels le groupe menacerait l’approvisionnement mondial en minerais importants tels que le tantale (un composant majeur de la plupart des industries informatiques et de téléphonie mobile), après que le M23 et d’autres groupes armés anti-Kinshasa des groupes ont pris le contrôle d’un important port commercial de la ville de Goma et ont même fait passer en contrebande des minerais importants provenant de certaines zones minières loin de l’autorité centrale de Kinsha(4).
Conclusion:
La célèbre Conférence de Berlin (1884-1885), qui divisa le continent africain entre les différentes puissances coloniales européennes selon les frontières existantes et donna une légitimité au régime du roi belge Léopold II et à ses crimes sans précédent dans l’extermination de centaines de personnes; de milliers d’Africains, portait un autre nom, celui de « Conférence du Congo », car elle comprenait ses résultats : un accord entre ces puissances sur la liberté de navigation dans le bassin du fleuve Congo et l’exploitation de ses ressources.
La crise actuelle à l’est du Congo, près d’un siècle et demi après la conférence, ne semble pas échapper à l’essence de ses arrangements et à l’ingérence continue des acteurs internationaux dans la crise selon la logique des quotas, outre l’émergence de des puissances régionales actives dans l’aggravation de la crise et dans un rôle de mandataire non moins dangereux que les menaces d’interventions des grandes puissances.
Cette conclusion se cristallise dans la conviction de nombreux analystes qu’un certain nombre de pays voisins de la République démocratique du Congo poursuivent des politiques qui déstabilisent clairement cette dernière, notamment avec la déclaration des États-Unis (17 février 2024) qui condamnent le soutien du Rwanda au mouvement M23 qui sévit en République démocratique du Congo , et des déclarations similaires qui ont suivi, la plus remarquable étant la déclaration de l’Union européenne dans laquelle le président de l’Union, Josep Borrell, a affirmé la condamnation par le bloc de 27 membres des attaques du « groupe M23 basé au Rwanda » et de celles menées par tout d’autre groupe armé dans l’est de la République démocratique du Congo (5).
Et cela est sans omettre l’accès d’informations par le Rwanda et Congo (16 mars 2024) faisant état d’une rencontre imminente entre Kagame et Tshisekedi, principalement consacrée à la résolution de la crise à l’est du Congo, et fondée sur des assurances plus claires du ministre angolais des Affaires étrangères, Tite Antonio, qui a également confirmé la tenue en marge du sommet Kagame-Tshisekedi d’importantes réunions ministérielles entre responsables des deux pays (6).
Notes et références :
(1)Les rebelles du M23 s'emparent d'une ville dans l'est du Congo, tuant au moins 15 personnes, 5 mars 2024https://www.msn.com/he-il/news/other/m23-rebels-seize-town-in-eastern-congo-killing-at-least-15/ar-BB1jqwix (2)Paul Kagame du Rwanda soutenu par le parti au pouvoir pour en chercher un autre, Reuters, 9 mars 2024https://www.msn.com/he-il/news/other/rwandas-paul-kagame-endorsed-by-ruling-party-to-seek-another-term/ar-BB1jBQys (3)Le président rwandais accepte de rencontrer Félix Tshisekedi au sujet de la crise dans l'est du Congo, African News, 12 mars 2024https://www.msn.com/en-xl/africa/top-stories/rwandas-president-agrees-to-meet-felix-tshisekedi-over-eastern-congo-crisis/ar-BB1jK859 (4)Les rebelles congolais bloquent les routes commerciales, menaçant l’approvisionnement en métaux clés, Bloomberg, 15 mars 2024https://www.bloomberg.com/news/articles/2024-03-15/congo-rebels-block-trade-routes-menace-supply-of-key-metal (5)La guerre à l’Est du Congo, nouveau chapitre d’une vieille saga, The Financial Express, 9 mars 2024https://www.msn.com/en-in/news/world/war-in-eastern-congo-a-new-chapter-of-an-old-saga/ar-BB1jyUyK (6)Tshisekedi et Kagame s'entretiendront alors que le conflit dans l'est de la RDC s'intensifie, The Citizen, 16 mars 2024https://www.thecitizen.co.tz/tanzania/news/africa/kagame-tshisekedi-to-hold-talks-as-conflict-in-drc-escalates-4558066