Le lac Tchad, autrefois un écosystème prospère au cœur de l’Afrique de l’Ouest, est aujourd’hui le centre de multiples crises qui touchent à la fois son économie, sa société, sa sécurité, sa politique et son climat. Cette étendue d’eau, qui a longtemps été le pilier de la vie pour des millions de personnes, est confrontée à une détérioration rapide et à des défis complexes.
Dans cet article, nous explorons ces crises multidimensionnelles et leur impact sur la région. Sur le plan économique, nous examinons comment la réduction de la superficie du lac a affecté les moyens de subsistance locaux, en particulier la pêche et l’agriculture. Du point de vue social, nous abordons les déplacements massifs de populations, les problèmes de santé et les conditions de vie précaires. Sur le plan de la sécurité, nous analysons les menaces terroristes et les conflits liés aux ressources. Politiquement, nous observons comment les gouvernements locaux répondent à ces défis, tandis que sur le plan climatique, nous explorons les effets des changements environnementaux.
Ces crises sont étroitement liées, créant un défi complexe pour la région. Dans les sections suivantes, nous examinerons en détail chaque dimension de ces crises, tout en soulignant les efforts actuels pour atténuer leurs impacts et tracer une voie vers un avenir plus stable et durable pour le lac Tchad et ses habitants.
1) Le bassin du lac Tchad
Le bassin du lac Tchad, couvrant environ 7,8 % de la superficie du continent africain, s’étend du sud-est de l’Algérie et du sud de la Libye à l’est du Soudan et au nord-ouest de la République centrafricaine, englobant tout le Tchad et l’est du Niger jusqu’au nord-est du Nigeria, avec une superficie totale d’environ 2 335 000 km².
Le lac Tchad, niché au cœur du Sahara africain, constitue une source vitale de subsistance pour les populations riveraines. Il partage ses frontières entre quatre pays (Nigeria, Tchad, Cameroun et Niger) et abrite entre 30 et 40 millions d’habitants, dont la majorité dépend du lac pour leurs besoins en eau, que ce soit pour la pêche, l’agriculture ou l’élevage. Malheureusement, environ 5,1 millions de personnes y souffrent de la faim, et 400 000 enfants sont touchés par une malnutrition sévère.
2) Montée du terrorisme et de l’insécurité
Au cours des dernières années, la région du bassin du lac Tchad a connu une recrudescence significative de la violence, qu’elle provienne de gangs du crime organisé ou de groupes jihadistes, dont la puissance s’est considérablement accrue.
La fragilité sécuritaire et l’instabilité politique endémique dans les pays de la région du Bassin, accompagnées d’une absence totale d’institutions étatiques, qu’il s’agisse de marginalisation administrative, politique ou sécuritaire, ont offert un terrain fertile aux groupes jihadistes et aux gangs criminels organisés. Les manifestations de la pauvreté, de la misère et du chômage généralisé ont également facilité le recrutement de membres pour ces groupes et gangs armés.
La région du bassin est considérée comme un bastion de Boko Haram, un groupe basé dans le nord du Nigeria, qui étend son influence dans la région sud du bassin. De nouveaux groupes ont également émergé ces dernières années, tels que le groupe sahraoui affilié à l’État islamique en 2014 et le groupe Nusrat al-Islam affilié à Al-Qaïda au Maghreb en 2017.
En 2022, ces groupes ont intensifié leurs opérations, causant la mort de près de 2 000 personnes au Mali, au Niger et au Burkina Faso. Leurs activités se sont également étendues au nord du Bénin. Avec les récents bouleversements politiques au Mali, au Burkina Faso et au Niger, ces groupes ont vu leurs activités prendre de l’ampleur.
Les conséquences de ces activités terroristes sont dévastatrices pour le développement et l’économie de la région déjà précaire. Ces groupes ont recours à des enlèvements pour obtenir des rançons, ce qui entrave gravement le développement économique de la région.
3) Impact du changement climatique
En 2012, des inondations dévastatrices ont frappé la région, entraînant la mort de centaines de personnes et le déplacement de millions d’autres. Au Nigeria, les fortes pluies ont provoqué la rupture d’un barrage, inondant 34 des 36 États du pays. Près d’un million et demi de personnes ont été contraintes de quitter leurs foyers, et environ 300 000 maisons ont été détruites, tandis que près de 500 000 hectares de terres agricoles ont été submergés. Dans le nord du Cameroun, environ 25 000 personnes ont été déplacées par les inondations.
En 2022, la région a été frappée par les pires inondations de son histoire, causant la mort de centaines de personnes et le déplacement de près de 1,3 million d’autres. Au Tchad, la moitié de la population, soit près d’un million de personnes, a été touchée, en particulier dans le sud-ouest du pays. Les inondations ont également entraîné la perte de centaines de milliers d’hectares de terres agricoles et de bétail, forçant 90 000 personnes à fuir vers la capitale, N’Djamena.
Dans les autres régions du bassin du lac Tchad, les inondations ont touché environ 379 500 personnes au Burkina Faso, plus de 63 000 au Niger et environ 41 000 au Mali.
Aussi la superficie de la lac Tchad a dramatiquement diminué, passant de 22 000 km² dans les années 60 à seulement 300 km² au début des années 80. La profondeur de l’eau douce, essentielle pour la vie, est d’environ 7 mètres, mais elle s’évapore plus rapidement que l’eau plus profonde en raison des températures changeantes. Les scientifiques pensent que les variations de température dans l’Atlantique Nord pourraient être responsables de ces changements. Bien que le lac se remplisse périodiquement avec des pluies saisonnières abondantes, il se reconstitue lentement, menaçant la vie des millions de personnes qui en dépendent.
4) Initiatives et réponses internationales
De nombreuses initiatives internationales et régionales visent à résoudre ce problème. Cependant, le dernier sommet sur le climat en 2023, qui s’est tenu en Égypte, a été décevant, n’aboutissant pas à des solutions pratiques en matière d’aide financière. L’Afrique, en tant que continent le plus touché par le réchauffement climatique et la pollution, est particulièrement vulnérable.
Concernant le lac Tchad, une initiative internationale spécifique a été lancée, la première étant la « Conférence du Bassin du Lac Tchad » qui s’est tenue à Oslo en 2017. Lors de cette conférence, 432 millions d’euros ont été alloués pour aider les pays de la région à faire face à la crise. La deuxième conférence a eu lieu à Berlin en 2018, avec une allocation de 2,17 milliards d’euros.
Cependant, malgré ces engagements, la concrétisation de ces promesses est restée insuffisante. En 2023, lors du congrès tenu à Niamey, au Niger, en présence de près de 300 associations de la société civile représentant 100 pays, des mesures plus concrètes ont été prises. L’Allemagne a annoncé un financement de 100 millions d’euros pour l’aide aux réfugiés et la réhabilitation des anciens combattants de Boko Haram.
Les Nations Unies ont également augmenté leur aide d’urgence à la région de 1,8 milliard de dollars et ont promis de fournir 500 millions de dollars américains pour soutenir la mise en œuvre d’actions locales conjointes. Ces mesures visent à atténuer la crise qui sévit dans la région.
Cependant, il est crucial de transformer ces engagements en actions concrètes pour résoudre les problèmes liés au lac Tchad et à la crise qui affecte la région.
5) Perspectives d’avenir
Les perspectives d’avenir pour la région du bassin du lac Tchad restent complexes mais porteuses d’espoir. La lutte contre la sécheresse et le réchauffement climatique nécessite une action mondiale concertée, avec un engagement accru en matière d’aide financière et de coopération internationale pour atténuer les effets dévastateurs de ces phénomènes. Il est essentiel de mettre en œuvre des stratégies de gestion de l’eau durables pour garantir l’accès à l’eau potable, la pêche et l’agriculture.
La sécurité demeure un défi majeur, avec la présence de groupes terroristes et criminels. La coopération régionale et internationale en matière de sécurité est indispensable pour lutter contre ces menaces.
Enfin, les initiatives internationales telles que la « Conférence du Bassin du Lac Tchad » offrent un espoir, mais leur succès dépend de la mise en œuvre effective des financements et des programmes. Il est crucial de continuer à mobiliser des ressources et à coordonner les efforts pour stabiliser la région, améliorer les conditions de vie des populations et garantir un avenir plus sûr et plus prospère pour le bassin du lac Tchad.
Conclusion
La crise multidimensionnelle qui touche la région du bassin du lac Tchad est un rappel poignant des défis complexes auxquels l’Afrique et le monde sont confrontés. Cette crise, qui englobe des aspects liés au climat, à la sécurité, à la pauvreté et à la gouvernance, a des répercussions dévastatrices sur des millions de vies humaines. Les effets du réchauffement climatique, de la sécheresse et de la désertification menacent l’existence même de la région, mettant en danger la sécurité alimentaire et la stabilité. L’expansion des groupes terroristes et criminels aggrave la situation, entraînant la violence et la déstabilisation.
Cependant, il est important de noter que des initiatives internationales et régionales ont été lancées pour atténuer ces défis. La « Conférence du Bassin du Lac Tchad » et l’augmentation de l’aide de l’ONU en sont des exemples. Mais le succès de ces efforts dépend de la mise en œuvre efficace des financements et de la coopération continue.
Pour l’avenir, il est impératif que la communauté internationale intensifie ses efforts pour lutter contre le changement climatique, soutenir la sécurité et promouvoir le développement durable dans la région. Cela nécessite une action globale, allant de la réduction des émissions de gaz à effet de serre à la promotion de la paix et de la stabilité. Les populations du bassin du lac Tchad méritent un avenir meilleur, et c’est notre responsabilité collective de travailler ensemble pour réaliser cette vision. En unissant nos forces, nous pouvons offrir un espoir renouvelé à cette région et contribuer à la construction d’un monde plus juste et plus durable pour tous.
Les Références
- Joël Ignasse, « Peut-on encore sauver le lac Tchad ? », Sciences et Avenir, 29 juin 2005. Afropolicy, Entre aggravation de la crise humanitaire et environnementale et multiplication des actes de violence… La Troisième Conférence de Haut Niveau sur le Bassin du Lac Tchad à Niamey
- Climate change exacerbated heavy rainfall leading to large-scale flooding in highly vulnerable communities in West Africa
- Wassouni, François. « La Vie Quotidienne Dans Le Bassin Du Lac Tchad à L’éPreuve De Boko Haram. » Calenda, (2017).