Le traité d’Alliance du Sahel signé l’année dernière par les chefs militaires du Mali, du Burkina Faso et du Niger représente un changement majeur dans le paysage géopolitique en pleine mutation en Afrique de l’Ouest.
La décision de se retirer officiellement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a des implications considérables, car ces pays s’éloignent des alliances régionales et occidentales traditionnelles.
Lors d’un sommet à Niamey le 6 juillet 2024, les chefs d’État des pays du Sahel ont non seulement confirmé leur retrait de la CEDEAO, mais ont également renforcé la charte de défense de l’Alliance du Sahel et se sont engagés à se soutenir mutuellement contre les menaces extérieures.
Ces amendements sont une réponse directe aux sanctions de la CEDEAO à la suite d’un coup d’État militaire dans leurs pays, mais reflètent également une volonté d’autonomie régionale accrue.
Certains analystes mettent en garde contre une insécurité croissante et un isolement économique, tandis que d’autres estiment que cette décision permettra de mieux coordonner les efforts contre les menaces armées.
En tout état de cause, le retrait de ces pays soulève de sérieuses questions quant à l’avenir de la CEDEAO, à son efficacité en matière d’intégration régionale et à sa capacité à maintenir la sécurité et la stabilité en Afrique de l’Ouest.
Alors que la CEDEAO, qui compte 15 membres, se prépare à accueillir son propre sommet d’intégration régionale en 2025, elle se trouve à un moment ccruciql pour revoir sa propre stratégie et redéfinir son rôle dans un contexte qui évolue rapidement.
Premièrement : La CEDEAO est un pilier de l’intégration régionale
Ces dernières années, la région de l’Afrique de l’Ouest a souffert de coups d’État militaires fréquents, d’instabilité politique et de graves problèmes de gouvernance.
Depuis 2020, des pays comme le Mali, la Guinée, le Burkina Faso et le Niger ont connu des coups d’État militaires, révélant la fragilité des démocraties dans la région.
Ces coups d’État ont mis en évidence le mécontentement populaire généralisé à l’égard des gouvernements élus, l’insécurité généralisée et la désillusion à l’égard de la CEDEAO.
Cependant, la CEDEAO a souvent été reconnue comme l’une des communautés économiques les plus intégrées d’Afrique, ayant réalisé des progrès significatifs en matière de coopération régionale.
Le bloc a développé une zone de libre-échange qui permet la circulation des biens et des services à travers les frontières sans droits de douane. En outre, la CEDEAO a permis la libre circulation des personnes, renforcé la mobilité régionale et favorisé le développement d’infrastructures régionales essentielles, telles que les routes et les autoroutes reliant les États membres.
En outre, le groupe dispose d’une Cour de justice opérationnelle qui s’emploie à résoudre les différends et à promouvoir l’État de droit dans la région. Le rôle de la CEDEAO dans la résolution des conflits a été particulièrement remarquable. En effet, elle a joué un rôle clé dans le rétablissement de la paix en Sierra Leone et au Liberia au cours des années 1990, à travers sa médiation dans les conflits et déploiement des forces de maintien de la paix pour stabiliser la région.
En dépit de ces succès, ladite structure et ses États membres sont aujourd’hui confrontés à de nouvelles menaces pour leur stabilité, notamment l’extrémisme violent, l’insécurité et l’érosion des normes démocratiques.
Deuxièmement : La nécessité d’une réforme institutionnelle
La résurgence des coups d’État en Afrique de l’Ouest a mis en lumière les faiblesses critiques de l’approche actuelle de la CEDEAO en matière de gestion de l’instabilité politique. Traditionnellement, le groupe a répondu aux coups d’État par des sanctions, des pressions politiques et, dans de rares cas, la menace d’une intervention militaire. Toutefois, ces mesures ont souvent échoué à rétablir un régime civil. Le récent coup d’État au Niger en 2023 en est un exemple épatant.
Et en dépit de lourdes sanctions et la menace d’une action militaire, la CEDEAO n’a pas été en mesure de renverser le coup d’État. Au contraire, ces mesures ont renforcé le soutien populaire à la junte et affaibli les capacités de dissuasion du bloc régional.
Cet échec met en évidence un défi plus large : La CEDEAO est souvent considérée comme réagissant aux crises plutôt que comme les prévenant. L’organisation a été critiquée pour sa politique de deux poids deux mesures, en particulier pour sa condamnation rapide des coups d’État militaires alors qu’elle ferme les yeux sur les « coups d’État constitutionnels », c’est-à-dire les cas où des dirigeants démocratiquement élus manipulent les constitutions pour prolonger leur séjour au pouvoir.
Cette contradiction a porté atteinte à la crédibilité de cette organisation et de nombreux Africains de l’Ouest considérant de plus en plus que le bloc est plus intéressé par la préservation des intérêts des chefs d’État que par la promotion de la démocratie et de la bonne gouvernance. Il est devenu un « club de dirigeants qui s’accrochent au pouvoir ».
Pour retrouver sa légitimité et son efficacité, la CEDEAO doit adopter une approche plus pragmatique et plus souple :
Primo : la CEDEAO doit reconnaître que le soutien populaire aux coups d’État militaires découle souvent de la frustration engendrée par la mauvaise gouvernance. Si les coups d’État ne constituent pas une solution à ces problèmes, ils sont le symptôme de problèmes plus profonds qui doivent être traités. Plutôt que de se concentrer uniquement sur des mesures punitives, le groupe devrait travailler avec les chefs militaires pour élaborer des feuilles de route claires en vue d’un retour à un régime civil, tout en s’attaquant aux causes sous-jacentes de l’instabilité, telles que la corruption, l’insécurité et l’inégalité économique
Secundo : La CEDEAO doit améliorer ses outils et ses procédures pour traiter les coups d’État. Elle doit notamment revoir sa loi complémentaire sur les sanctions afin de la rendre plus claire et plus prévisible. Les sanctions doivent être ciblées et conçues pour faire pression sur les régimes militaires sans nuire aux citoyens ordinaires, qui sont souvent les plus touchés par les restrictions économiques. En outre, la CEDEAO devrait établir des procédures bien définies pour le recours à la force et veiller à ce que toute intervention militaire soit menée avec un large soutien régional et dans le respect du droit international.
Tertio : La CEDEAO devrait s’efforcer de trouver des solutions à court, moyen et long terme à l’insécurité dans la région, de promouvoir le commerce intérieur, de s’attaquer au trafic de drogue, d’adopter des stratégies d’atténuation du changement climatique, d’autonomiser les jeunes de la région et d’assurer la stabilité démocratique. Il est nécessaire de traiter ces questions non seulement pour maintenir la paix, mais aussi pour promouvoir le développement économique et restaurer la confiance du public quant à la gestion de la région.
Troisièmement : Vers une feuille de route pour la sécurité régionale
En Afrique de l’Ouest, l’insécurité est un défi pressant, particulièrement caractérisé par la montée du terrorisme au Sahel et l’escalade des conflits entre agriculteurs et éleveurs. Ces problèmes ont dévasté des communautés, déplacé des millions de personnes et contribué à une insécurité alimentaire généralisée.
Selon le HCR, en 2022, l’Afrique de l’Ouest et du Centre ont accueilli 11,2 millions de personnes déplacées de force, dont 7,8 millions de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays et 1,6 million de réfugiés, dont une grande partie en provenance d’Afrique de l’Ouest.
Cette insécurité dépasse les frontières des pays individuels et nécessite une réponse régionale collective. Dans ce contexte, la CEDEAO doit donner la priorité à la coopération régionale en matière de sécurité, en travaillant en étroite collaboration avec les pays touchés pour lutter contre le terrorisme et s’attaquer aux causes profondes de la violence. Il s’agit notamment de renforcer la coordination militaire, d’améliorer l’échange de renseignements et de renforcer la capacité des forces de sécurité régionales à répondre efficacement aux menaces.
Si la Communauté a fait de grands progrès en matière d’intégration économique régionale, de nombreux États membres disposent encore d’un potentiel inexploité pour renforcer leur coopération. Malgré leur capacité à produire suffisamment de nourriture au niveau national, de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest dépendent fortement des importations de denrées alimentaires.
Un rapport de la Banque mondiale publié en janvier 2024 a souligné le besoin urgent de stimuler la production alimentaire locale afin de réduire le chômage, de stimuler la croissance économique et d’améliorer la sécurité alimentaire.
À cette fin, les dirigeants de la CEDEAO devraient se concentrer sur l’élaboration de politiques qui soutiennent le développement agricole, améliorent l’accès au financement pour les PME et réduisent les barrières commerciales au sein de la région. Ce faisant, ils peuvent favoriser une économie régionale plus résiliente et autosuffisante, mieux équipée pour répondre aux besoins de ses citoyens.
L’Afrique de l’Ouest abrite la population la plus jeune du monde, avec une moyenne d’âge de 17,5 ans seulement. Cependant, de nombreux jeunes de la région se sentent marginalisés et frustrés par le manque d’opportunités et les échecs perçus de leurs gouvernements.
Le soutien apporté aux récents coups d’État par des milliers de jeunes souligne le profond sentiment de désillusion à l’égard des structures de gouvernance actuelles. Pour résoudre ce problème, la CEDEAO devrait élaborer un plan global pour le développement et l’autonomisation des jeunes, en mettant l’accent sur l’éducation, la création d’emplois et l’engagement civique.
Investir dans la jeunesse de la région n’est pas seulement un impératif moral, c’est aussi un impératif stratégique. En responsabilisant la prochaine génération de dirigeants et en leur fournissant les outils dont ils ont besoin pour réussir, la CEDEAO peut contribuer à construire un avenir plus stable, plus prospère et plus démocratique pour l’Afrique de l’Ouest.
En conclusion
À l’approche de son 50e anniversaire en 2025, la CEDEAO est confrontée à des défis importants, mais aussi à d’énormes opportunités. En adoptant une approche plus pragmatique et holistique de la lutte contre les coups d’État et de la promotion de la stabilité, la CEDEAO peut retrouver son rôle de force stabilisatrice en Afrique de l’Ouest.
Cela nécessitera un leadership audacieux, un engagement renouvelé en faveur de la gouvernance démocratique et l’élaboration de solutions innovantes aux problèmes les plus urgents de la région.
Les étapes décrites ici constituent une feuille de route explicite pour les dirigeants de la CEDEAO afin que celle-ci redevienne une force stabilisatrice en Afrique de l’Ouest.
Ce n’est un secret pour personne que la CEDEAO est à la hauteur de la tâche et qu’elle a la capacité non seulement de gérer l’instabilité politique, mais aussi de construire un avenir plus sûr, plus prospère et plus démocratique pour l’Afrique de l’Ouest.