L’idée que la littérature doive être mise au service de la société et de la liberté n’est pas propre aux temps modernes. Elle est probablement aussi vieille que les premiers textes composés – poésie et prose confondues.
En fait, si la littérature a pour vocation de taquiner les émotions, elle peut aussi être politique – dans le sens engagée du terme. En Afrique, comme dans le reste du monde, les lettres sont mises au service des grands idéaux. Elles traduisent aussi bien les maux de la communauté que ceux de l’individu. Et, face aux restrictions des libertés, « la littérature africaine, comme le dit si bien l’écrivain congolais Gaston Mahoungou, doit être davantage la voix des sans voix ».
Historiquement, l’activité littéraire est présente sur le continent africain depuis l’Egypte pharaonique. Les épopées et les contes traditionnels témoignent d’une importante tradition orale. Néanmoins, nous devons concrètement attendre le XXème siècle pour parler d’une réelle production littéraire propre aux Africains. Il ne serait pas faux de dire que la littérature en Afrique a commencé réellement à germer avec «la négritude».
Notons cependant que certaines critiques insistent sur un écrit antérieur à ce mouvement: L’Homme qui marchait vers le Soleil levant dont la publication remonte à 1907. C’est, en effet, le premier écrit publié dans une langue africaine, le sesotho. L’auteur de ce texte n’est autre que Thomas Mfolo qui se fera connaître par la suite avec Chaka, paru en 1926 et traduit en 1940 par Gallimard. Le même roman a été réédité dernièrement par les éditions Confluences.)
Aujourd’hui, les lettres africaines se conjuguent au pluriel. Auteurs et critiques défendent l’idée selon laquelle le continent compte plusieurs littératures. Une bonne partie des textes produits le sont dans les langues des colonisateurs, à savoir le français, l’anglais ou le portugais. Toutefois, beaucoup d’auteurs préfèrent écrire en langues locales comme le swahili, le wolof et le yoruba.
Par ailleurs, les thèmes qu’aborde la littérature africaine ont évolué depuis les années 30. Les écrivains ont passé de l’Afrique des colonies, de l’esclavage et de la quête de l’identité collective à l’Afrique post-indépendante des régimes dictatoriaux et de l’immigration, jusqu’à traiter les sujets des plus tabous, à l’instar de l’homosexualité masculine, sans oublier la question des conditions des femmes.
En effet, en dépit du fait que le monde de la littérature africaine soit dominé par les hommes, nombreuses sont aujourd’hui les voies féminines qui s’élèvent contre les conditions misérables de la femme africaine. L’une de ces auteures est la camerounaise Djaili Amadou Amal, lauréate du Goncourt des lycéens en 2020 pour son ouvrage Les Impatientes.
Les années 30 et l’émergence de la négritude
La littérature africaine, dans son acception moderne, est sans doute « la fille de la négritude » qui est un mouvement littéraire apparu à Paris vers les années 30, entre les deux guerres mondiales. La négritude a vu le jour lorsque trois intellectuels décident de créer la revue L’Etudiant noir. Il s’agit du Sénégalais Léopold Sédar Senghor, le Guyanais Léon Gontran Damas et le Martiniquais Aimé Césaire. Ces pères fondateurs et autres membres présentent la négritude comme « un mécanisme d’autodéfense et de résistance ». La négritude est en réalité un projet de transformation sociale et politique.
La littérature négro-africaine, écrite donc par des africains « noirs », en langue maternelle ou dans les langues des empires coloniaux, affirme l’identité africaine et l’africanité face aux Occidentaux et leurs cultures. C’est, en fait, une littérature inspirée de faits authentiques appartenant aux peuples africains. Elle n’est, de l’avis de ses défenseurs, en aucun cas occidentale.
Trois décennies après l’apparition du mouvement de la négritude, l’écrivain nigérien Chinua Achebe (1930-2013) semble ouvrir la porte de la modernité à la littérature africaine, avec son chef-d’œuvre Tout s’effondre (Things Fall Apart).
Tout s’effondre ou la naissance d’une nouvelle littérature africaine
Le roman Tout s’effondre, qui est une fiction historique, marquant tous les temps, est l’un des incontournables de la littérature africaine moderne. Publié en 1958 en langue anglaise, le texte fut, en réalité, une riposte à certaines plumes occidentales insultant et méprisant ouvertement l’Afrique et les Africains dans leurs écrits.
Achebe ne cache pas les motifs qui l’ont poussé à écrire ce monument. Il déclare : « Des auteurs comme Ernest Hemingway ont représenté la population noire africaine comme des sauvages et sont ainsi à l’origine d’un immense blasphème. C’est pourquoi j’ai décidé de tenter d’écrire des livres où les personnages étaient des Africains comme je les connais. »
Achebe a su peindre une « Afrique authentique ». Comme tout écrivain engagé, il n’a pas trahi son rôle d’écrivain et a pointé du doigt les maux de sa société. Evoquant largement l’avènement du christianisme qui a chamboulé les croyances traditionnelles de la population locale, Tout s’effondre un roman d’une haute teneur ethnologique, met en avant la possibilité que les générations futures finissent par perdre une partie importante de la culture et de l’identité africaines.
Une année de la littérature africaine
2021 fut l’année de la littérature africaine par excellence. Nombreux sont, en effet, les auteurs africains qui ont pu décrocher des prix de renommée mondiale. Commençons par le sénégalais Mohamed Mbougar Sarr, 31 ans, jeune romancier sénégalais lauréat du prix Goncourt pour son livre La Plus Secrète Mémoire des hommes. Mbougar Sarr est désormais le plus jeune écrivant remportant ce prestigieux prix. Le Booker Prize, prix équivalent du Goncourt en Afrique anglophone a été décerné au Sud-africain Dalmon Galgut pour son neuvième roman The Promise.
Autre lauréate : Paulina Chiziane. Lusophone d’origine mozambicaine, elle est la première écrivaine de son pays à être honorée par le prestigieux prix Camoes. Chiziane est également la première femme africaine à recevoir le prix le plus important des lettres en langue portugaise. Quant à l’écrivaine et cinéaste zimbabwéenne Tsitsi Dangarembga, elle s’est vue remettre le prix de la Paix des libraires allemands lors de la foire du livre à Francfort, discerné pour la première fois à une femme noire africaine.
Et cerise sur le gâteau, le plus prestigieux des prix littéraires, le prix Nobel de la littérature a été attribué au tanzanien Abdulrazak Gumah pour son récit sur l’immigration et la colonisation. A noter que Gumah est le deuxième noir africain à recevoir la plus prestigieuse des récompenses littéraire après le nigérien Wole Soyinka en 1986.
Encore du chemin…
Le fait que la littérature africaine, dans son ensemble, ne soit pas de taille à rivaliser avec d’autres littératures aux formes et aux contenus plus aboutis ne veut absolument pas dire qu’elle n’existe pas. Elle est bel et bien là. Noir sur blanc. Depuis un siècle déjà. Ou un peu moins… Qu’importe !
À ce propos, Mohamed Mbougar Sarr déclare : « Le livre en Afrique n’a jamais cessé d’être vivant, de circuler… peut-être difficilement, mais il était toujours là. » Néanmoins, l’un des grands défis de la littérature est de s’universaliser – un mot à prendre bien évidemment avec des pincettes-.
Gaston Mahoungou estime que « la littérature africaine doit s’ouvrir davantage sur le monde ». C’est-à-dire s’intéresser aux questions universelles. Ou non! « L’universel c’est le local moins les murs », disait le Miguel Torga. Peut-être devrions-nous parler d’une littérature exportable – tout court. Et il y a bien du pain sur la planche.
Les défis auxquels la famille littéraire africaine doit faire face sont, en effet, nombreux, et ce à tous les niveaux : production, édition, vulgarisation… « En Afrique, il n’y pas de presse littéraire, il n’y a pas de maisons d’édition, il n’y a pas de critiques littéraires », déclare Boniface Mongo, écrivain et biographe congolais. Dans le même contexte, Mbougar Sarr déplore «l’absence d’une politique culturelle forte mettant en avant la promotion de la lecture et de la culture».
L’écrivain sénégalais Khalil Dyalou a déclaré à la presse algérienne que «les sénégalais ne lisent pas», pourquoi?
L’une des raisons est que « les auteurs écrivent dans une langue qui ne leur appartient pas ». Pour lui, « c’est une forme de trahison » que d’écrire en langue française. « C’est trahir soi-même avant de trahir les autres », dit-il.
Par ailleurs, la littérature n’est pas une priorité pour les gouvernants en Afrique. Les enveloppes budgétaires pour les lettres restent très réduites. La raison de cela, expliquent certains, est que la priorité du continent est de faire face aux défis politiques, économiques et sociaux. L’Afrique compte jusqu’au jour d’aujourd’hui plusieurs zones de conflits et de guerres.
A ce propos, des écrivains, à l’instar de Gaston Mahoungou, espèrent voir les grands hommes de lettres au pouvoir, car, d’après eux, ce sont eux qui, en vrai, changent la réalité amère des sociétés…
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