Face aux enjeux de sécurité et de souveraineté alimentaires, couplés aux impératifs environnementaux, l’agriculture africaine doit se transformer pour s’inscrire dans une logique de durabilité. Cette note d’analyse s’intéresse aux approches adaptatives conciliant savoir-faire locaux et approches exogènes.
Note d’analyse de l’Observatoire de l’action climat en Afrique
- Auteur : Mélaine Assè-Wassa Sama, Chargé de projet Action climat en Afrique
- Date : Avril 2023
- Sommaire :
- Des pratiques traditionnelles méconnues ou en disparition
- Des pratiques nouvelles ne prenant pas en compte la dimension locale
- Vers un paradigme fondé sur les savoir-faire locaux : l’agroécologie
En 2021, environ 278 millions de personnes ont été touchées par la faim en Afrique[1]. En Afrique subsaharienne, 63 % de la population a été touchée par l’insécurité alimentaire en 2021[2].Pour y faire face, les États africains se sont engagés à transformer le secteur agricole afin de parvenir à une souveraineté alimentaire durable. En effet, l’agriculture occupe une place centrale et stratégique en Afrique. Elle représente 23 %[3] du PIB du continent et emploie 55 % de la population active.
Face aux enjeux de sécurité et de souveraineté alimentaires couplés à des impératifs environnementaux, l’agriculture africaine doit se transformer et évoluer pour s’inscrire dans une logique de durabilité. Si cette mutation nécessite de recourir à des approches innovantes parfois exogènes, elle doit aussi prendre en compte les approches endogènes basées sur des savoir-faire locaux qui sont souvent méconnus. Et si l’ambition d’une agriculture durable passait par des approches adaptatives conciliant savoir-faire locaux et approches exogènes ?
Des pratiques traditionnelles méconnues ou en disparition
Les pratiques traditionnelles désignent un ensemble de techniques et de savoir-faire ancestraux détenus par des populations locales ou autochtones dans plusieurs domaines tels que l’élevage ou l’agriculture. Les pasteurs sahéliens peuls utilisent par exemple leur propre calendrier et distinguent jusqu’à cinq saisons[4]. Ce qui leur permet de mieux comprendre les risques climatiques et d’avoir une meilleure anticipation. Au Burkina Faso, une technique agricole ancestrale, le « zaï »[5], permet de rendre au sol sa fertilité et d’avoir de meilleurs rendements. Cette technique a permis à Yacouba Sawadogo[6], principal ambassadeur de cette technique de reboiser des dizaines d’hectares désertiques et « non cultivables » en y faisant pousser plus de 90 espèces d’arbres. En Ouganda, le groupe ethnique des bergers « Bahimas » sont les gardiens des techniques ancestrales d’élevage des « Longhorns Ankole »[7], une des plus anciennes races bovines indigènes du pays. Il s’agit d’une race très résistante même en milieu aride. Cependant, depuis 1990, avec des programmes d’élevage imposés par le gouvernement ougandais, cette race locale a peu à peu été remplacée par des races exotiques au point d’être aujourd’hui menacée de disparition, avec comme conséquence la disparition des savoir-faire traditionnels détenus par les bergers Bahimas[8].
Sur le continent africain, de nombreuses populations détiennent des savoir-faire ancestraux adaptés à l’environnement africain. Cependant, la valeur ou l’importance des savoir-faire locaux a souvent été ignorée en Afrique au détriment de pratiques exogènes. Longtemps, lorsqu’il était question d’améliorer l’agriculture en Afrique, la mécanisation et l’introduction de semences exogènes étaient privilégiées. Dans cette approche, les pratiques locales étaient directement influencées par des politiques internationales. Ce qui a eu pour conséquence de mettre en lumière des techniques exogènes dites nouvelles, reléguant ainsi au second plan les savoir-faire locaux.
Des pratiques nouvelles ne prenant pas en compte la dimension locale
Des politiques internationales ont fait la promotion de pratiques dites nouvelles comme des solutions aux divers problèmes que rencontre l’agriculture. Ces pratiques axées sur un paradigme agricole aujourd’hui en perte de vitesse ont connu des résultats mitigés pour plusieurs raisons parmi lesquelles la faible prise en compte de la dimension locale. En effet, pendant des décennies, des politiques et programmes de préservation des sols et des forêts ou de développement de l’agriculture ont été mis en place sans tenir compte du contexte local et de ses particularités. Ce qui s’est traduit dans les faits par la mise à l’écart des peuples autochtones ou des populations locales. Pour expliquer cette situation, il faut remonter à l’époque coloniale où les récits accusant les populations locales d’être responsables de la dégradation des terres et de la déforestation ont été utilisés pour justifier la privatisation des biens communs. Plus récemment, la même méthode a été utilisée par des gouvernements africains (en Afrique de l’Ouest par exemple) pour écarter des populations locales de la gestion des forêts[9]. Ces récits biaisés ont eu pour conséquence la discrimination et la mise à l’écart des populations locales et de leur savoir-faire. Ces pratiques non-inclusives, voire exclusives, ont pour cette raison rencontré des succès relatifs du fait de l’opposition farouche des populations locales.
Toujours dans cette logique, plusieurs semences exogènes (souvent transgéniques) ont été importées et promues au détriment de semences locales pourtant plus adaptées aux réalités locales. Il arrive que certaines de ces semences « imposées » par les politiques internationales contiennent des gènes qui empêchent les grains récoltés de germer[10]. Cette pratique contraint les agriculteurs locaux, habitués à leurs semences locales qu’ils avaient l’habitude de stocker, de sélectionner naturellement et de reproduire selon des méthodes ancestrales.
Aussi, certaines pratiques dites nouvelles ne sont pas toujours respectueuses de l’environnement, contrairement aux pratiques traditionnelles. C’est le cas des pratiques soutenant une agriculture fondée sur les grandes monocultures qui accélèrent la déforestation et la dégradation des sols à cause des semences transgéniques et des engrais à base de pétrole et les biocides[11]. Ces pratiques contribuent au déclin des populations locales ou des peuples autochtones dont les modes de subsistance dépendent d’une agriculture traditionnelle et des ressources forestières.
Enfin, il arrive également que des pratiques dites nouvelles soient en réalité inspirées de pratiques locales sans que cela ne soit mentionné. Au Brésil, des exemples existent : dans l’affaire Andiroba, des multinationales pharmaceutiques ont breveté des méthodes d’utilisation de l’andiroba (Carapa guianensis)[12], qui appartiennent au savoir-faire traditionnel et ancestral des populations locales et qui sont transmis de génération en génération[13].
Vers un paradigme fondé sur les savoir-faire locaux : l’agroécologie
Face aux résultats mitigés des approches non inclusives jusque-là observées en Afrique, plusieurs réflexions convergent vers un nouveau paradigme fondé sur des approches adaptatives. Pour Coumba Sow représentante de la FAO au Rwanda, « les savoirs traditionnels doivent être utilisés en complément des connaissances scientifiques pour garantir la sécurité alimentaire »[14]. C’est également la nouvelle approche que promeuvent des institutions internationales comme la FAO, à travers l’agroécologie qui désigne un système fondé sur les savoirs faire locaux[15]. Il s’agit d’un système qui intègre « les dynamiques territoriales et les acteurs sociaux portant les fondements d’une agriculture durable, écologiquement saine, économiquement viable et socialement juste »[16]. C’est aussi un mouvement qui défend la souveraineté alimentaire et les droits des paysannes et paysans. Elle prône des approches adaptatives fondées sur des principes qui tiennent compte des nouveaux défis et des contextes locaux.
L’inclusion des acteurs locaux et la valorisation de leurs pratiques traditionnelles
Contrairement aux modèles précédents qui ignoraient les populations locales, l’agroécologie place les acteurs locaux au centre du projet en valorisant leurs savoir-faire, mieux adaptés au contexte local. Au Cameroun par exemple, l’ONG Cameroon Gender and Environment Watch (CAMGEW) a mis en place plusieurs projets d’apiculture portés par les populations locales. Le développement de cette activité est basé sur des matériaux locaux dont les techniques de fabrication sont détenues par ces populations locales. Au-delà de cet aspect, ce modèle permet aux populations locales de s’organiser en coopératives en fonction des filières pour produire des cultures adaptées aux réalités locales. En Afrique du Sud par exemple, grâce à l’agroécologie, les agriculteurs d’une municipalité approvisionnent 589 cantines scolaires en fruits et légumes frais et de bonne qualité. Ce qui participe à réduire l’obésité chez les enfants tout en permettant aux agriculteurs d’augmenter leurs revenus[17].
L’inclusion de toutes les couches sociales
L’agroécologie met particulièrement l’accent sur le rôle des femmes. Souvent reléguées au second plan, elles assurent pourtant entre 60 % et 80 % des travaux de production agricole en Afrique. Grâce au développement de l’agroécologie, leur apport est de plus en plus valorisé. Elles sont de plus en plus porteuses d’initiatives qui allient production agricole, protection de la biodiversité et développement local. C’est le cas des projets d’apiculture portés par le CAMGEW. C’est aussi le cas au Zimbabwé[18] où l’agroécologie a permis aux femmes d’augmenter leurs revenus grâce à la transformation des aliments issus de leurs productions agricoles. Grâce à ses revenus, elles ont lancé de nouvelles activités telles que la pisciculture et l’apiculture qu’elles combinent avec d’autres cultures complémentaires.
La mise en valeur des petits agriculteurs
Le paradigme d’une agriculture intensive dominée par de grands exploitants reste axé sur l’usage massif d’intrants agricoles nocifs pour l’environnement. L’agroécologie permet aux petits exploitants agricoles de résister à ces changements en cultivant des variétés de semences traditionnelles adaptées grâce aux partages des connaissances locales. Ce qui permet aux communautés agricoles de petits exploitants de réduire leur dépendance aux intrants externes et d’investir dans d’autres activités pour diversifier leurs moyens de subsistance[19].
NOTES
[1] FAO, FIDA, OMS, PAM et UNICEF(2022). Résumé de L’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2022. Rome, p.12.
[2] FAO(2022). Suivi des progrès des ODD liés à l’alimentation et à l’agriculture 2022. Rome, p.16.
[3] Agriculture et Stratégies (2018). Investissement agricole en Afrique : un niveau faible… de nombreuses opportunités
[4] Séverine Kodjo-Grandvaux. (01/12/2019) En Afrique, les paysans qui pratiquent l’agroécologie résistent mieux au changement climatique. Le Monde Afrique.
[5] LE MONDE DE L’ARBRE. Yacouba Sawadogo, l’homme qui arrête le désert.
[6] Idem
[7] AFSA. (2016). Agroecology – The Bold Future of Farming in Africa. p. 64.
[8] Idem.
[9 Clare Bissell (2020). Restoring more than forests: How rights-based forest restoration can empower communities, recover biodiversity, and tackle the climate crisis. FERN. p. 11.
[10] Ibidem. p. 22.
[11] Gladstone Leonel Júnior. The right to agroecology: using the law to support sustainable farming in Brazil. 2018. FERN. p 3
[12] Une plante dont les graines et l’écorce sont utilisées à des fins médicinales.
[13] Ibidem, p. 21.
[14] Séverine Kodjo-Grandvaux. (01/12/2019) En Afrique, les paysans qui pratiquent l’agroécologie résistent mieux au changement climatique. Le Monde Afrique.
[15] Vincent DAUBY. L’agroécologie. (2020) « la voie pour un modèle agricole durable, résilient et juste ». CNCD11.11.11.
[16] Christophe David et al.. (2011). « Agroécologie » in Les mots de l’agronomie – Histoire et critique, P. Morlot et P. Prévost (dir.).
[17] Observatoire mondial de l’action climat (2022). Bilan mondial de l’action climat par secteur 2022. Climate Chance. p. 187.
[18] AFSA. (2016). Op. Cit. p. 27.
[19] AFSA. (2016). Op. Cit. p. 27.