Le continent africain a des traditions et une histoire avec les mouvements djihadistes : les premières opérations mondiales d’Al-Qaïda ont eu lieu en 1998 en Tanzanie et au Kenya, avec les bombardements de l’ambassade américaine à Nairobi et à Dar es Salaam.
En outre, les premières branches d‘Al-Qaïda étaient africaines et étaient actives entre l’Afrique et l’Europe, comme Groupe salafiste pour la prédication et le combat algérien, transformé plus tard en Al-Qaïda au Maghreb, et le Groupe combattant tunisien, semblable au Mouvement de la jeunesse moudjahidine en La Somalie et le groupe Boko Haram au Nigeria.
Récemment, avec les changements géopolitiques dans la région africaine et même sur la scène mondiale, le continent africain a été témoin d’une montée en puissance spectaculaire de groupes affiliés à Al-Qaïda et à l’État islamique, transformant la région en un centre névralgique pour le terrorisme international.
Cette évolution résulte d’une série de facteurs complexes, notamment la mort d’Ayman al-Zawahri, le chef d’Al-Qaïda, et la défaite de l’État islamique au Moyen-Orient. Ces événements ont créé un vide de pouvoir et de leadership, que les groupes jihadistes en Afrique ont cherché à combler. De plus, les vulnérabilités des régimes dans les régions sahéliennes, comme le Mali, ont offert un terrain fertile à la prolifération de ces groupes.
La géopolitique du Sahel, marquée par des conflits ethniques, des tensions régionales et des conditions socio-économiques précaires, a également favorisé la montée en puissance des groupes jihadistes. Cette transformation de l’Afrique en épicentre du jihadisme pose des défis significatifs pour la sécurité mondiale, exigeant une analyse approfondie de ses causes et de ses implications.
L’Évolution des Groupes Jihadistes en Afrique
La plupart des mouvements djihadistes en Afrique remontent aux années 1990 et ont été principalement fondés par des combattants revenant de la guerre soviéto-afghane. Ces mouvements ont trouvé des conditions favorables à leur développement et à leur expansion sur le continent africain, notamment pendant la guerre civile algérienne, également connue sous le nom de la décennie noire, ainsi que la guerre civile somalienne.
Avec la montée d’Al-Qaïda et les événements du 11 septembre, la plupart de ces groupes ont évolué pour devenir des branches d’Al-Qaïda. Par exemple, le Groupe salafiste pour la prédication et le combat en Algérie est devenu Al-Qaïda au Maghreb, tandis que le Groupe islamique des Tribunaux en Somalie a donné naissance au mouvement somalien Shabab. De plus, de nouveaux groupes djihadistes tels que Boko Haram ont émergé, notamment au Nigeria en 2002.
Le début des révolutions du Printemps arabe et la fragilité des régimes, en particulier sur le plan sécuritaire, ont créé des opportunités pour ces groupes de se renforcer davantage. La chute du régime de Mouammar Kadhafi en Libye a été un tournant majeur, offrant un terrain propice à leur développement.
En 2012, l’attaque la plus marquante menée par ces groupes a été l’attaque d’Al-Qaïda contre le champ gazier d’In Amenas en Algérie, suivie de la prise d’otages sur place. Pendant cette période, l’Émirat du Mali a été créé dans le nord du pays par le groupe Ansar Eddine, une branche d’Al-Qaïda au Maghreb dirigée par Iyad Ag Ghali.
Boko Haram a intensifié ses activités dans la région du bassin du Tchad et dans le nord du Nigeria, tandis que la région du Sahel africain et l’ouest du continent sont devenus des zones d’opération pour ces groupes.
Le Triangle libyen est devenu un terrain fertile pour ces groupes, notamment avec l’émergence de l’État islamique et la proclamation du califat. L’État islamique a montré un grand intérêt pour l’Afrique, envoyant un de ses principaux collaborateurs, Abu Ali al-Anbari, après l’expulsion d’un groupe affilié à l’État islamique en Libye par le Conseil de la Choura des Moudjahidines de Derna, qui était affilié à Al-Qaïda. L’envoyé d’Al-Baghdadi, Abu Ali al-Anbari, a joué un rôle clé dans l’attaque de la ville de Samarra, ouvrant la voie à l’occupation de Mossoul, avant d’être assassiné au sud de Derna par un drone américain.
Un bataillon important de l’État islamique, responsable de plusieurs massacres, s’est implanté en Libye, composé en grande partie de combattants originaires de Libye, de Tunisie, de France et de Belgique. Ce bataillon a tenté d’occuper la ville tunisienne de Ben Guerdane en 2016.
Dans la région du bassin du lac Tchad, un groupe sahraoui affilié à l’État islamique est apparu, tandis qu’au sein de Boko Haram, des divisions sont apparues concernant l’adhésion à l’État islamique ou le maintien dans Al-Qaïda, ce qui a entraîné des affrontements internes.
Le mouvement somalien Shabab a quant à lui continué à combattre tous les groupes affiliés à l’État islamique, entraînant l’expulsion de ces groupes de Somalie. Ils ont ensuite trouvé refuge au cœur du continent africain, notamment au Mozambique et en République démocratique du Congo.
La Mort de Zawahri et l’Impact sur Al-Qaïda en Afrique
En juillet 2022, la mort du chef d’Al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri, en Afghanistan a été annoncée, marquant la perte des derniers membres de la génération fondatrice de l’organisation en Afghanistan. Jusqu’à présent, ses successeurs n’ont pas été annoncés, malgré une année complète écoulée. Il y a plusieurs raisons à cela, dont la plus importante est la présence en Iran du successeur le plus probable d’Al-Zawahiri, Saif Al-Adel, depuis vingt ans. Sa présence en Iran constitue l’un des principaux obstacles à sa prise de fonction en tant que chef d’Al-Qaïda, car toutes les branches affiliées à Al-Qaïda refusent de prêter allégeance à un individu basé à Téhéran, traditionnellement considéré comme l’ennemi des djihadistes sunnites. Par conséquent, Saïf al-Adl n’a pas non plus demandé allégeance jusqu’à présent, et il est peu probable qu’il assume la direction de l’organisation.
Parallèlement, avec la fin de la génération fondatrice d’Al-Qaïda en Afghanistan et les débats en cours au sein du mouvement taliban sur la nécessité de se distancer d’Al-Qaïda sur le plan organisationnel tout en maintenant des liens avec ses membres de manière discrète, les talibans ont commencé à établir des relations diplomatiques avec de nombreux pays.
Toutes ces évolutions nous amènent à nous intéresser aux branches régionales de l’organisation. Selon certains documents divulgués attribués à Al-Zawahiri, certaines branches ont posé comme condition préalable à leur allégeance que le leader soit présent dans un lieu sous leur contrôle. Actuellement, Al-Qaïda est actif au Yémen, en Afrique de l’Est et dans la région sahélo-saharienne, et ses branches les plus puissantes sont le Mouvement de la jeunesse somalienne et Al-Qaïda en Afrique de l’Ouest.
Cette situation suggère que le leadership central de l’organisation, ou du moins la figure centrale, pourrait se trouver en Afrique. Une telle évolution aurait d’importantes implications tant au niveau international que régional, car cela pourrait renforcer la présence et l’influence d’Al-Qaïda dans cette région du monde, nécessitant une réponse coordonnée de la part des acteurs régionaux et internationaux pour contrer cette menace potentielle.
La Défaite de l’État Islamique au Moyen-Orient et son Incidence en Afrique
Effectivement, le continent africain est devenu une priorité pour l’État islamique (EI) depuis 2014, et l’organisation a établi de nombreux centres opérationnels sur le continent. Cette orientation vers l’Afrique s’est accentuée avec la fin de la bataille de Baghouz en 2019, qui a marqué un déclin significatif de l’EI au Moyen-Orient. L’assassinat de son chef et la perte de plusieurs de ses dirigeants ont également contribué à renforcer les groupes affiliés à l’EI en Afrique.
Une caractéristique notable de l’activité de l’EI en Afrique est la nature virtuelle de ses frontières. Contrairement à sa démonstration symbolique de la destruction des frontières entre la Syrie et l’Irak lors de sa création, en Afrique, les frontières sont souvent virtuelles, et l’EI est actif implicitement sur un territoire s’étendant entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso, entre autres régions.
Cependant, il est important de noter que le transfert du centre opérationnel de l’organisation vers l’Afrique est une entreprise complexe. Contrairement à Al-Qaïda, qui a une structure décentralisée, l’organisation de l’État islamique en Irak a une structure centralisée et complexe, comprenant d’anciens officiers baathistes. De plus, l’EI insiste sur les origines mecquoises de ses dirigeants, ce qui rend difficile l’établissement de cette filiation en Afrique.
Malgré ces défis, l’EI a réussi à s’implanter en Afrique et à étendre ses opérations dans de nombreuses régions du continent. Le journal « Al-Naba, » affilié à l’État islamique, consacre une part importante de ses informations et articles aux zones de présence en Afrique, notamment la Somalie, le Mozambique, la République démocratique du Congo, le Cameroun, le Nigeria, le Tchad, le Niger, la Libye, le Mali, le Burkina Faso et le Bénin. Cette expansion en Afrique a des implications significatives sur le plan sécuritaire et géopolitique, exigeant une réponse coordonnée de la part des acteurs régionaux et internationaux pour contrer la menace de l’EI sur le continent.
Conclusion
En conclusion, la récente mort du chef d’Al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri, a ouvert une période d’incertitude au sein de l’organisation, en l’absence de successeur annoncé. Saif Al-Adel, le candidat le plus probable, est entravé par sa présence en Iran, ce qui complique son accession au poste de leader, étant donné le refus des branches affiliées d’allégeance à un individu basé à Téhéran.
Parallèlement, l’État islamique a fait de l’Afrique une priorité stratégique depuis 2014. Malgré l’absence de frontières physiques, l’organisation est devenue particulièrement active entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso, ainsi que dans d’autres régions du continent. Cependant, son transfert effectif en Afrique est complexe, compte tenu de sa structure centralisée et de la demande de filiation mecquoise.
La fragilité sécuritaire en Afrique demeure un défi majeur, car les groupes djihadistes exploitent les conflits, la pauvreté et les problèmes de gouvernance. La consolidation de la sécurité en Afrique est essentielle pour contrer ces menaces, et les répercussions de l’activité de l’EI en Afrique sont susceptibles d’avoir des implications régionales et internationales significatives. Une réponse coordonnée est nécessaire pour faire face à cette menace grandissante et promouvoir la stabilité sur le continent africain.