La chute du Président du Burkina Faso Roch Marc Christian Kaboré, suite au coup d’État du 24 janvier 2022, découle principalement d’une crise sécuritaire liée aux attaques djihadistes, qui ne cesse de s’aggraver dans le pays et la région.
Le coup d’État semble avoir été orchestré par le président du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR), le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, qui est de facto devenu le nouvel homme fort du Burkina Faso.
Cela faisait un moment, que les civils ainsi que les forces de sécurité et de défense exprimaient leur mécontentement, au sujet de la gestion de la situation par l’ex-président Kaboré.
C’est le quatrième coup d’État en Afrique de l’Ouest en moins de deux ans. Mais c’est surtout le troisième en moins d’un an. En effet le coup d’État contre Christian Kaboré fait suite à ceux qui ont frappé les anciens présidents malien Ibrahim Boubacar Keita et Bah N’Daw en août 2020, puis mai 2021, suivi en septembre 2021 par la chute du président guinéen Alpha Condé.
Cette multiplication des coups d’État est très inquiétante. Cela met en évidence une crise majeure du système politique ouest africain. La démocratie apparait comme gangrénée par la corruption et incapable répondre aux attentes des populations. Le modèle démocratique doit être repensé pour améliorer les institutions, qui doivent servir et protéger les citoyens.
Que sait-on du Conseil militaire?
On dispose de peu d’informations, en ce qui concerne le conseil militaire et sa composition. L’organe politique de ce conseil militaire est le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR), qui a pour président le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba.
Qui est le président par intérim Paul-Henri Sandaogo Damiba?
Nouvel homme fort du Pays des Hommes Intègres, le président Paul-Henri Sandaogo Damiba a été porté au pouvoir par un coup d’État, ayant reçu l’assentiment populaire.
Le lieutenant-colonel Damiba a été investi le 2 mars 2022 président du Burkina Faso, pour une période de transition de trois ans.
Une investiture qui fait suite à la signature de la charte de transition, qui prévoit une période transitoire de trois ans, avant la tenue des élections. Cette charte prévoyait également la nomination d’un ministre civil, ayant pour charge la formation d’un gouvernement de 25 membres.
Engagement tenu. Puisque l’universitaire Albert Ouédraogo a été nommé Premier ministre par décret le 4 mars, pour diriger le gouvernement de transition dont la composition a été annoncée le 5 mars 2022.
Mais qui est donc ce colonel putschiste, qui s’applique à tenir ses engagements et à doser de façon très réfléchie toutes ses décisions?
En témoigne le choix de la durée de la période de transition. Trois ans ce n’est pas trop long, et c’est acceptable pour une transition. Surtout comparé au 5 années annoncées par la junte malienne, qui ont été jugées inacceptables par la CEDEAO. On peut aussi retenir la clause concernant la non-éligibilité du président par intérim, aux élections présidentielles, législatives et municipales, qui doivent mettre fin à la transition.
Et l’on constate que cette stratégie de communication, suivie d’actes, a porté ses fruits, puisqu’elle a permis, jusqu’à présent, de limiter les sanctions internationales.
Son parcours éducatif et militaire
Paul-Henri Sandaogo Damiba est né le 2 janvier 1981 à Ouagadougou, au Burkina Faso (anciennement Haute Volta).
Il fait partie de la promotion 1992 du Prytanée militaire de Kadiogo. S’illustrant par sa rigueur militaire, il est surnommé “l’armée” par ses camarades de promotion.
Il est aussi l’un des promus de la 7e promotion de l’Académie militaire George Namoano de Pô. Il est à noter que la majorité des sortants de cette académie, située dans le sud du Burkina Faso, ont servi au sein de l’ex-garde rapprochée de Blaise Compaoré, le Régiment de sécurité présidentielle (RSP). Le lieutenant-colonel Damiba a d’ailleurs été commandant de compagnie au sein du RSP, entre 2003 et 2011. Il quitte le RSP en 2011 à la suite de mutineries.
Paul-Henri Sandaogo Damiba est diplômé de l’école militaire de Paris, où il a rencontré pendant ses études le futur président guinéen, Mamady Doumbouya.
Il a obtenu au Conservatoire national des arts et Métiers (CNAM) une maîtrise en criminologie, et il est détenteur d’une certification d’expert de la défense en management, commandement et stratégie.
Animé par un besoin constant de s’améliorer, Paul-Henri Sandogo Damiba à plusieurs programmes de formation américains:
- En 2010 et 2020, il participe au Flintlock Joint Combined Exchange Training exercises.
- En 2013 il assiste au African Contingency Operations Training and Assistance course.
- En 2013 et 2014 il prend part au Military Intelligence Basic Officer Course for Africa.
- En 2018 et 2019, c’est au Burkina Faso qu’il s’entraîne dans le cadre du Civil Military Support Element.
Après s’être opposé au coup d’État de 2015, contre les autorités de transition de l’époque, sa rigueur et sa détermination l’amènent à devenir le responsable des militaires dans les régions du Sahel à Dori, et du Nord à Ouahigouya, entre 2015 et 2019.
De l’expérience tirée de cette période naitra l’ouvrage “Armées ouest-africaines et terrorisme : réponses incertaines ?”. Son livre, bien documenté, résume sa doctrine militaire. La première partie est une analyse de la situation, la deuxième suggère que les États doivent mettre en place des ripostes adaptées à leurs situations spécifiques, en délaissant les modèles occidentaux. La troisième partie met en évidence à quel point les réponses militaires des armées ouest-africaines ont été peu efficaces, dans la lutte contre le djihadisme.
La période 2019 à 2021, est celle durant laquelle il a le plus combattu les groupes armés djihadistes.
En décembre 2021, il est nommé par le Président Roch Marc Kaboré commandant de la troisième région militaire.
Paul-Henri Sandaogo Damiba fait partie des “officiers qui ont des choses dans la tête”. Il est décrit comme un militaire aguerri au combat, proche de ses hommes, qui a acquis une légitimité en obtenant des résultats sur le terrain.
Il donne l’image d’un homme dont la démarche a pour principal objectif, le rétablissement de la sécurité territoriale du pays.
Les hommes autour du président du MPSR
Quand on recherche des informations sur le MPSR ou le conseil militaire, on est rapidement frustré par le manque d’information. Leur composition exacte n’est pas officiellement connue. Une opacité qui a déjà été critiquée par de nombreux membres de la société civile, qui aimeraient savoir si des protagonistes cachés tirent des ficelles dans l’ombre.
Les membres du MPSR
Après la vague de limogeage de chefs militaires, certaines apparitions et nominations, ont cependant permis de faire apparaître quelques personnalités, que l’on peut identifier comme étant des membres du MPSR.
Le commandement de l’État-Major général des armées est confié au Lieutenant-colonel Evrard Somba, qui sera secondé par le colonel-Major Célestin Simporé.
Sur les 13 régions que compte le Burkina Faso, le président Damiba a nommé 9 gouverneurs mardi 1 mars 2022. Voici la liste des nominés :
Les régions de la Boucle du Mouhoun, du Nord et du Sahel sont respectivement dirigées par le contrôleur général de police, Baho Pierre Bassinga, le colonel-major Raymond David Valentin Ouédraogo et le lieutenant-colonel Fabien Sorgho.
Le colonel Boukaré Zoungrana prend le commandement de la région du Centre-Est, le commissaire divisionnaire de police Boureima Sawadogo est nommé gouverneur du Sud-Ouest, le colonel Jean-Charles Somé dirige les Cascades et le Colonel Moussa Diallo commande les Hauts-Bassins.
Le colonel-major Zoewendmanego Blaise Ouédraogo et le colonel Hubert Yameogo dirigent respectivement les régions du Centre-Nord et de l’Est.
Ils sont tous expérimentés et issus des forces de sécurité et de défense.
Le MPSR compte également dans ses rangs le lieutenant-colonel Naon Daba, commandant de la Brigade nationale de sapeurs-pompiers et le jeune capitaine Sidsore Kader Ouedraogo. Un moment soupçonné d’être le cerveau du putsch, le capitaine est le porte-parole du président Paul-Henri Sandaogo Damiba.
Le conseil militaire peut-il aider le Burkina Faso à repartir sur de nouvelles bases ?
La junte ne cesse d’envoyer des messages positifs, gage de sa bonne foi. Ainsi, la mise en application effective de la charte de transition, avec la nomination d’un premier ministre, et d’un gouvernement essentiellement composé de technocrates expérimentés, pour la plupart, a été très favorablement accueillie.
L’objectif affiché du chef de la junte et de l’armée est de laisser les technocrates faire leur travail, tout en faisant en sorte que l’on donne à l’armée les moyens de faire son travail.
Et ceci entre parfaitement dans le cadre des idées qu’il développe dans son livre “Armées ouest-africaines et terrorisme : réponses incertaines ?”
Ce coup d’État a certes été soutenu par le peuple, mais ledit peuple a de fortes attentes en ce qui concerne la sécurité et les réponses qui seront apportées à la crise humanitaire.
Sans oublier que la CEDEAO et différents acteurs influents de la société civile attendent de voir des résultats probants, dans le domaine du renforcement de la gouvernance, et de la lutte contre la corruption.
Les zones d’ombre autour du conseil militaire et du MPSR
L’absence d’informations concernant la composition du conseil militaire et du MPSR, est l’un des principaux éléments contribuant à alimenter une certaine suspicion.
Il faut ajouter à cela le fait que parmi toutes les nominations, il y en a une qui questionne et qui retient particulièrement l’attention.
Il s’agit du général Barthélémy Aimé Simporé. A vrai dire, dans ce cas, il s’agit plus d’une reconduction que d’une nomination. Et c’est là que le bât blesse, puisque dans le narratif officiel du coup d’État, il était question de sanctionner le précédent gouvernement pour son incapacité à gérer la crise sécuritaire. Comment se fait-il que le plus haut responsable de l’appareil sécuritaire soit reconduit ?
Or le général Barthélémy Aimé Simporé, qui était ministre de la Défense et des anciens combattants dans l’ancien gouvernement, a vu son ministère élevé au statut de ministère d’État.
Ce maintien est-il le fruit d’une transaction durant les négociations avec les mutins ? Ou le général était-il parti prenante de la conspiration ?
Cette opacité ne va pas contribuer à consolider la confiance, dont le gouvernement a besoin, pour atteindre les objectifs qui lui ont été fixés.
Les défis que doit relever le conseil militaire
Durant cette période de transition de 36 mois, le conseil militaire et le gouvernement de transition vont faire face à une multitude de défis, comme jamais le Burkina Faso n’en a connu auparavant.
Le défi de la sécurisation et de la lutte contre les groupes djihadistes
Le volet sécuritaire cristallise toutes les attentions et des résultats sont attendus très rapidement. Plus de 500 militaires burkinabés ont perdu la vie dans des attaques terroristes depuis 2015. Et le massacre d’Inata en novembre 2021, qui avait fait 57 morts dont 54 gendarmes, est considéré comme un catalyseur de la colère des militaires, et un possible déclencheur du coup d’État.
Quoi qu’il en soit, maintenant qu’ils ont pris les commandes, les militaires vont devoir fournir très rapidement des résultats sur le terrain.
Si un autre Inata devait se produire, la crédibilité et la légitimité des putschistes seraient gravement entamées.
La situation est grave, plus de 1,5 million de personnes ont fui leur foyer. En outre, une grande partie de la population connaît un quotidien relativement dangereux, en raison de l’insécurité. Il faut savoir que le contrôle de certaines régions échappe totalement à l’État, et il n’y a pas de services publics dans les zones sous contrôle des groupes armés.
Maintenir les liens internationaux et négocier avec la CEDEAO
Le pragmatisme domine les différentes prises de positions chancelleries au sujet du coup d’État et de la junte au pouvoir. On note même une certaine indulgence, qui tranche avec la sévérité qui a touché le Mali.
Le défi des relations internationales
Au niveau international, la plupart des réactions se sont résumées à des communiqués de condamnation de principe du coup d’État.
La rencontre entre Paul-Henri Sandaogo Damiba et la délégation conjointe de l’ONU et la CEDEAO s’est très bien passée. Les émissaires ont apprécié la très grande ouverture de la junte, et l’intention affichée de relever les défis et de rétablir rapidement l’ordre constitutionnel.
Pour l’UE, après sa rencontre avec le président Damiba, Emmanuella Del Re, la représentante spéciale de l’UE pour le Sahel, s’est déclarée : “confiante quant à l’avenir de la transition”. Elle a aussi ajouté que l’UE veut continuer à soutenir la population burkinabé.
La seule véritable ombre au tableau est la suspension à titre préventif de l’aide américaine, en raison du coup d’État. L’administration Biden doit évaluer la situation au Burkina Faso, avant d’annoncer les mesures qui seront prises.
La France, un partenaire incontournable
En ce qui concerne la France, l’ancienne puissance coloniale n’a pas soutenu ce coup d’État, qu’elle a d’ailleurs condamné.
Cependant, le président Kaboré maintenait une certaine distance avec la France, notamment parce que Paris lui reprochait de ne pas réformer son armée.
Pour la France, la défiance de Roch Kaboré vis-à-vis de son armée était un problème, qui entravait le bon déroulement de l’opération Barkhane. Bien qu’il ait accepté sur son territoire la présence des forces spéciales de l’opération Sabre, il refusait de voir les forces de l’opération Barkhane s’installer. Il semble qu’il craignait de donner l’image d’un président renouant avec l’époque postcoloniale de la France-Afrique.
Le président français s’en est remis à la CEDEAO pour la condamnation du coup d’État. Et en coulisse, il est clair que ce changement de pouvoir va dans les intérêts de la France qui, après l’annonce de son départ du Mali, a plus que jamais besoin de compter sur ses alliés.
Éviter les sanctions de la CEDEAO
L’organisation régionale a choisi de ne pas prendre des sanctions supplémentaires contre le Burkina Faso. La CEDEAO a cependant demandé aux militaires au pouvoir de communiquer rapidement et clairement sur un calendrier de retour à l’ordre constitutionnel.
Il faut dire que le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba a fait plutôt bonne impression dans les milieux diplomatiques. De plus, le rétablissement rapide de la constitution a grandement joué en faveur de la crédibilité des putschistes. Le Burkina Faso bénéficie donc pour le moment d’un traitement de faveur, mais il doit faire ses preuves rapidement.
Mettre en marche les réformes, et ne pas céder à la tentation du pouvoir
La lutte contre la corruption est le second point qui sera scruté attentivement. La tradition de militantisme au Burkina est très forte. Pour preuve, en 2014, l’activisme conjugué des acteurs politiques, mouvements citoyens et de la société civile ont mené au soulèvement populaire, qui a causé le départ de Blaise Compaoré.
Il ne faudra donc pas sous-estimer le mécontentement de la population et répondre, aussi rapidement que possible, à ses attentes les plus urgentes.
Un autre défi, et c’est le plus important pour la démocratie, sera d’éviter le piège du pouvoir. Prendre le pouvoir par la force est une chose, le rendre pacifiquement en est une autre.
Et l’Histoire nous enseigne à quel point il est difficile de trouver des “Hommes Intègres,” capables de tenir leurs engagements, et de se retirer lorsqu’ils ont atteint les objectifs fixés.
Nous souhaitons pour le Burkina Faso que le président Paul-Henri Sandaogo Damiba, et les membres du conseil militaire soient de ces hommes-là.