C‘est vraiment une histoire de deux sommets! Alors que les yeux des supporters africains se dirigeaient vers la capitale camerounaise, « Yaoundé », le 6 février 2022, où l’équipe sénégalaise de football a remporté la Coupe d’Afrique des nations.
Dans le même temps, il y avait un autre sommet africain à Addis-Abeba au cours duquel le président sénégalais Macky Sall a assumé la présidence de l’Union africaine pour un an complet.
Et quel paradoxe! Alors que le sommet du football africain prenait les esprits et les cœurs, et que des millions d’Africains chez eux et dans les pays du pèlerinage le regardaient; On constate que le sommet d’Addis-Abeba, qui en est venu à représenter le club des anciens, s’est passé comme s’il était tombé de la mémoire collective des Africains.
Alors qu’est-ce qui n’allait pas? Pourquoi l’Organisation continentale – qui représentait le rêve d’unité et d’intégration des Africains – est-elle aujourd’hui même incapable de s’autofinancer et d’atteindre l’indépendance financière?
De fait, de nombreuses critiques sont adressées à l’Union africaine, tout comme celles adressées à son prédécesseur, l’Organisation de l’unité africaine, pour son détachement des aspirations et des espoirs des peuples africains.
On l’appelle parfois «le club des tyrans», où chefs et dirigeants vont se rencontrer et échanger leurs salutations avant de retourner dans leurs pays lassés de toutes les années de «vaches maigres». Bien que l’Union africaine vise à promouvoir la démocratie et la bonne gouvernance, elle a montré qu’elle manquait de force lors de la surveillance des élections. Il n’est jamais intervenu même en présence d’indices clairs de fraude électorale.
Il semble que le principal problème lors de la comparaison de la Charte de l’UA avec la Charte des Nations Unies réside en fait dans la première phrase. Là où le préambule de la Charte des Nations Unies commence par dire: «Nous, peuples des Nations Unies, avons pris un engagement envers nous-mêmes…», tandis que l’Acte constitutif de l’Union africaine stipule : «Nous, chefs de État et gouvernement…» ; C’est toute la question!
Le Début Institutionnel De L’idée De l’Union Africaine
L’ambition d’une union africaine remonte à plus ou moins longtemps. Elle a vu le jour aux Amériques et en Europe, avant même que les colonies africaines accèdent à l’indépendance. Cependant, les fondements historiques d’une vraie union sont étroitement liés à la première Conférence des Etats indépendants africains, tenue à la capitale ghanéenne, Accra, entre le 15 et le 22 avril 1958.
Ont assisté à cette rencontre des représentants des pays indépendants de l’Ouest et du Nord de l’Afrique (l’Ethiopie, le Ghana, le Libéria, la Libye, le Maroc, le Soudan, la Tunisie et la République Arabe Unie). L’ordre du jour était : 1) Discuter les problématiques communes ; 2) Mettre en place des mécanismes accélérant l’entente mutuelle ; 3) Revoir les outils et les dispositifs visant à protéger l’indépendance et la souveraineté des pays membres, et aider les colonies à accéder à l’indépendance ; 4) Planifier les échanges culturels et les aides mutuelles.
Tous ceux qui ont milité pour une forteresse politique, telle qu’envisagée par Kwame Nkrumah, ont caressé le rêve d’une union africaine. Cependant, ce n’est pas tout le monde qui était d’accord sur la façon de réaliser cette union. Deux ailes, aux visions divergentes, sont nées. L’aile progressiste de Casablanca, qui a vu le jour en 1961, dirigée par Kwame Nkrumah, a voulu une union regroupant tous les pays africains. A ce groupe adhèrent l’Algérie, l’Egypte, la Guinée, le Maroc, le Mali, et la Libye.
Quant à la seconde aile, dirigée par le sénégalais Léopold Sedar Senghor, elle a été en faveur d’une union graduelle à travers la coopération économique dans un premier temps. Les partisans de cette vision étaient le Nigeria, le Liberia, l’Ethiopie ainsi que d’autres anciennes colonies françaises.
Après de longues discussions, les leaders africains sont arrivés à un accord commun et ont fondé l’Organisation d’unité africaine (OUA) le 25 mai 1963, à Addis-Abeba, en Ethiopie. La Charte a été signée par 32 Etats.
Les pères fondateurs de l’OUA sont Hailé Selassié 1er, Djamel Abdenacer, Kwame Nkrumah, Julius Nyerere, Ahmed Sékou Touré et Jomo Kenyatta.
Dès sa naissance, l’Organisation africaine a œuvré pour l’indépendance des pays colonisés et a entrepris de combattre l’apartheid, puisque, à sa création, nombre de pays africains n’avaient pas encore accédé à l’indépendance, et d’autres étaient dominés par des minorités blanches, à l’instar de l’Afrique du Sud et de l’Angola.
Pour mettre en route sa politique, l’Organisation africaine propose deux méthodes. La première est de défendre les intérêts des pays indépendants, et aider les pays encore colonisés à obtenir leurs indépendances. La seconde est de rester neutre concernant les questions d’ordre mondial. Cette position de non-alignée avait pour but de protéger les pays membres de tomber, à nouveau, sous la domination des puissances étrangères.
L’Union Africaine, Quels Changements?
Cependant, après près de 36 ans, feu le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi et ses compagnons, cette fois d’Afrique du Sud, ont relancé l’esprit du groupe de Casablanca et ont cherché à concrétiser l’idée d’union politique à Syrte en 1999.
Peut-être que les jeunes générations ne se souviennent pas de ce qui s’est passé avant cette date. Il est vrai que l’Union africaine, qui a vu le jour à Durban, en Afrique du Sud, le 9 juillet 2002, fête son vingtième anniversaire cette année. Cependant, l’Organisation de l’unité africaine (OUA) est beaucoup plus vieille que ça.
Certains se sont interrogés sur le « pourquoi du changement du nom», au moment ou l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), qui a subi un grand changement après la Guerre froide, a gardé son appellation initiale, et ce en dépit du fait qu’il ait intégré nombre de ses anciens «ennemis».
Certains ont vu dans la nouvelle appellation une sorte d’imitation de l’«Union européenne», sauf que cette dernière a supprimé les frontières. En Afrique, cette question n’est pas encore à l’ordre du jour.
Les chefs africains ne cachent pas leurs inspirations des institutions européennes. Ils créèrent le Parlement africain, composé de 265 membres. Mais, contrairement à l’expérience européenne, les députés africains ne sont pas élus, mais désignés par les députés nationaux des pays membres, chose qui reflète le rôle inactif des institutions de l’UA.
Pourquoi donc les peuples africains n’élisent pas leurs représentants continentaux ayant un intérêt réel à œuvrer pour le bien de l’Afrique et de ses peuples au sein du Parlement africain ?
Il est clair que ce changement de nom souffre d’un excès d’ambitions, car si l’UA a remplacé l’OUA, les institutions sont restées les mêmes. Le Conseil des chefs d’Etat et des gouvernements demeure le centre des décisions au sein de l’UA. L’organe suprême de l’Union africaine relève directement du Conseil exécutif, composé des ministres des affaires étrangères.
Celle-ci est l’instance la plus importante de l’organisation, puisque c’est elle qui est en charge de la préparation des décisions en vue rencontres des chefs d’Etat et des gouvernements. Il est rare que l’Assemblée générale contredise les ministres des affaires étrangères, car les chefs d’Etat sont, bien évidemment, en contact permanent avec les permanences de leurs ministres.
Même si, théoriquement, un chef d’Etat est en mesure de revenir sur une décision prise par son ministre des affaires étrangères, il est rare que cela arrive. Et quand cela arrive, le pays en question sera appelé à payer un prix élevé, car il y va de sa crédibilité.
Faire taire les armes et l’idée d’une paix insaisissable!
Quand, en 2016, les leaders africains ont adopté la feuille de route de Lusaka en vue de mettre fin aux conflits armés à l’horizon de 2020, ils espéraient qu’à l’occasion du cinquantième anniversaire de la création de l’Organisation de l’unité africaine (l’Union africaine), une paix durable allait enfin régner sur le continent.
La Convention Lusaka, contenant 54 actions pratiques, a donc vu le jour. Elle vise, entre autres, à freiner l’avancée des groupes rebelles et terroristes, à lutter contre le trafic humain, la corruption et les flux financiers illicites.
Et en dépit de tout, les efforts de « faire taire les armes », n’ont pas abouti à grand-chose. Depuis la signature de la Convention, l’Afrique assistera de plus en plus à de violence allant jusqu’à menacer le pays hôte de l’Union africaine.
Aujourd’hui, en Afrique, nous distinguons quatre zones de conflits armés:
- La région du Sahel comprenant le Mali, le Burkina, le nord du Nigeria, le Tchad jusqu’au Soudan et l’Erythrée;
- La région du Lac Tchad, le Cameroun, le Tchad, le Niger et le Nigeria;
- La Corne d’Afrique, comprenant la Somalie, le Soudan du Sud et le Kenya;
- La région des Grands Lacs, notamment le Burundi, la République démocratique du Congo, le Rwanda et l’Ouganda.
En dépit de leur caractère initialement local, la plupart des conflits ont tendance à revêtir une ampleur transfrontalière, et menacent la paix régionale.
En guise d’exemple, Al Chabab, le mouvement terroriste somalien, exploite la fragilité des frontières pour commettre des actes terroristes au Kenya. Aussi la plupart des conflits qui déchirent l’Afrique sont caractérisés par un extrémisme et d’une violence inouïe, à l’instar du conflit de Cabo Delgado au Mozambique.
Peut-être que l’une des raisons de cet échec est que l’objectif tracé a été trop ambitieux eu égard du nombre des conflits dans le continent. L’autre raison est que nombre de ces conflits violents sont interne, et sont dus aux désaccords des citoyens avec leurs gouvernements.
Il est clair que cette dynamique est, depuis le début, ignorée, et pour qu’un semblant de progrès soit possible, l’Union africaine doit absolument y remédier. La protection des droits humains est, en effet, un préalable pour solutionner les conflits auxquels fait face le continent.
Peut-être faut-il donner à l’instance continentale le pouvoir de sévir contre toute partie coupable d’atteinte aux principes sacrés sur lesquelles repose la dignité humaine.
Addis-Abeba, Sommet du Temps Perdu
Il y a 20 ans de cela, les dirigeants africains ont procédé au changement de l’acte constitutif, ce qui a permis aux pays membres de se prononcer dans les affaires intérieures des membres de l’UA. Aujourd’hui, beaucoup hésitent encore à appliquer cette décision, et ce en dépit des conflits sanguins dans certains pays, à l’instar de l’Ethiopie, le Cameroun et la Libye.
Par conséquent, la paix et la sécurité ne sont pas pour demain en Afrique. Certains conflits ravagent le continent depuis des décennies, comme Al-Qaida au Maghreb Islamique, la guerre civile en Somalie ou encore l’insurrection de l’Armée de résistance du Seigneur en Ouganda et en République démocratique du Congo.
C’est dans ces circonstances que s’est tenue la 35ème Session ordinaire des chefs d’Etats et de gouvernements, à Addis-Abeba, le 5 et le 6 février, sous le thème : « Renforcer la résilience en matière de nutrition sur le continent africain : Accélérer le capital humain et le développement social et économique».
Les mesures et les décisions prises, elles, étaient décevantes pour la plupart. Au lieu de se concentrer sur les conflits et les moyens de faire taire les armes, les participants se sont préoccupés de la question de la désignation de l’entité sioniste – qui entretient des relations diplomatiques avec 46 pays africains – comme observateur. Plus loin encore, ils ont demandé un siège permanent au sein du Conseil de sécurité de l’ONU.
En effet, au lieu de discuter de la situation prévalant dans le nord de l’Ethiopie ou encore dans l’Etat séparatiste d’Ambazonie au Cameroun, la question israélienne a pris la plus grosse part des discussions. En fin de compte, les dirigeants africains se sont mis d’accord pour suspendre le débat et le reporter à l’an prochain.
A ce propos, la démarche de Moussa Faki a été largement contestée, notamment par l’Algérie et l’Afrique du Sud, qui la jugent contradictoire à la position de l’UA quant à la cause palestinienne. Les deux pays en question ont fait pression pour chasser l’entité sioniste, mais, ce n’était pas le cas de tous les membres. Une commission a été mise en place pour étudier l’affaire.
Il est vrai que l’Union africaine a dénoncé la vague des putschs qui a eu lieu en Afrique dernièrement. Elle a aussi suspendu l’adhésion de la Guinée, du Mali, du Soudan et du Burkina Faso. Il est à noté que la suspension de quatre pays en seulement une année est du jamais vu dans toute l’histoire de l’Union africaine.
Mais en dépit de cela, elle est accusée de mener une politique de deux poids deux mesures, car elle n’a pas suspendu l’adhésion du Tchad après qu’un conseil militaire a pris le pouvoir suite à la mort du président Idriss Déby au champ de bataille, en avril 2021. De même, elle a préféré garder le silence face aux pratiques anticonstitutionnelles de certains présidents qui ont procédé à des amendements en vue de se maintenir au pouvoir.
Toutefois, en dépit de toutes les critiques, il serait injuste d’oublier le rôle positif de l’UA. Elle demeure l’entité où se rencontrent les Africains pour concevoir une vision commune du développement et de l’émancipation du continent.
Et même si on s’acharne à n’y voir qu’un club de vieux édentés, le travail qu’accomplit l’UA n’est pas à dédaigner. L’on peut citer les efforts consentis pour trouver des solutions à l’immigration clandestine qui met nombre de pays africains à rude épreuve. L’UA renforce également la voix du contient à l’échelle mondiale, puisque elle est très présente au sein de l’ONU. Elle peut même orienter la politique internationale.
L’UA peut se targuer de bien de réalisations, notamment en ce qui concerne sa contribution à faciliter la coopération économique entre les pays membres. A ce propos, l’une des grandes résolutions prises par ces derniers est la création de la Zone de libre échange continentale africaine, qui est à même de générer une croissance économique considérable pour le continent.
Enfin, si l’UA est en mesure de développer une stratégie commune pour l’Afrique sur le plan économique et d’aider à renforcer la démocratie dans les pays africains, elle peut alors contribuer au développement du continent et devenir un acteur mondial influent à l’avenir.