By Par Kahina Yazidi*, et Mamadou Sakho*
Malgré des trajectoires différentes, notre attachement profond au continent africain nous unit et nous ne pouvons pas rester insensibles lorsque des événements météorologiques extrêmes et meurtriers s’y produisent. Nous avons encore en mémoire les inondations de Bab-el-Oued en Algérie il y a 20 ans avec comme bilan la mort de près d’un millier de personnes ou les ravages de la sécheresse au Somaliland en 2017 avec plus d’un million de personnes confrontées à l’insécurité alimentaire.
L’Afrique et les affres du changement climatique
Alors qu’il n’émet que 4 % des gaz à effet de serre de la planète, le continent africain est le plus vulnérable aux effets néfastes du changement climatique. La raison en est la combinaison de certains facteurs géographiques et économiques, ainsi que la dépendance à l’égard des ressources naturelles.
Selon l’indice mondial des risques climatiques 2021 établi par l’ONG Germanwatch, le Mozambique et le Zimbabwe sont les deux pays les plus touchés par des événements météorologiques extrêmes en 2019. Et d’après cet indice, sur les dix pays au monde les plus affectés en 2019 par ces phénomènes, cinq sont africains. Cyclones, inondations, sécheresses, invasion de criquets, le risque climatique prend différentes formes et ses répercussions sont multiples.
À l’ouest du continent, au Sénégal et ses 700 km qui bordent l’océan Atlantique, l’érosion côtière, son corollaire, la montée des eaux, et la salinisation des terres agricoles ont un impact considérable sur la question de l’autosuffisance alimentaire. Selon une étude de l’Académie nationale des sciences et techniques du Sénégal datant de 2019, la salinisation affecte un quart à un tiers des terres arables du pays, soit près de 6 % de sa superficie totale. Cela prive ainsi 330 000 ménages ruraux de leur principal moyen d’existence et accentue l’exode rural, l’émigration et les conflits ethniques. À partir de ce constat, il ne fait plus de doute que la lutte contre le réchauffement climatique et la lutte contre la pauvreté sont les deux faces d’une même pièce.
Climat et pauvreté : deux faces d’une même pièce
En Afrique, les chocs climatiques sont un accélérateur des crises humanitaires, économiques, des migrations et des conflits aussi sur un continent où les activités agricoles occupent une place prépondérante dans l’économie. Il faut en effet rappeler que celles-ci représentent plus de la moitié des emplois, notamment dans la partie subsaharienne du continent. Les déséquilibres socio-économiques de grande ampleur, ainsi provoqués, conduisent non seulement à des situations de précarité et de détresse, mais ils exacerbent la menace terroriste notamment au Sahel.
Par ailleurs, les pays les moins avancés et les petits États insulaires en développement, comme les Comores, sont particulièrement vulnérables aux chocs et aléas climatiques du fait de leur capacité d’adaptation limitée et de ces chocs qui accentuent, ipso facto, les difficultés existantes. À Dakar, les inondations de septembre 2020 ont mis en évidence l’obsolescence des systèmes d’assainissement datant de 50 à 60 ans dans certaines zones de la ville.
Cinquante nuances de financements verts
Instruit.e.s des rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec)***, nous savons que le temps presse et « qu’il n’y a pas de planète B », pour reprendre la formule de Ban Ki-moon, ancien secrétaire général des Nations unies. Il reste une décennie pour atteindre les objectifs de développement durable (ODD) et concrétiser pleinement le virage écologique. La hausse de la part des financements multilatéraux, tant régionaux que mondiaux, consacrés aux actions climatiques, va dans le sens d’une prise en compte accrue des enjeux climatiques en Afrique.
En 2019, la Banque africaine de développement a décidé de doubler ses engagements financiers en faveur de la lutte contre le changement climatique pour les porter à 25 milliards de dollars sur la période 2020-2025. En 2020, le groupe de la Banque mondiale a dévoilé son nouveau « Business Plan pour le climat en Afrique » couvrant la période 2020-2026. Ces efforts financiers restent toutefois insuffisants pour lutter pleinement contre le changement climatique en Afrique. L’explication réside, entre autres, sur les difficultés d’accès aux financements climatiques internationaux. Il faut dire que le montage des projets climatiques se heurte souvent au défaut de capacités humaines, scientifiques, techniques, organisationnelles et institutionnelles.
Faire de 2021 une année décisive
Si l’année 2020 a été marquée par la pandémie de coronavirus, elle a aussi été l’année la plus chaude dans le monde, à égalité avec 2016. Elle a aussi été une année quasi blanche en termes de diplomatie verte. Dans la perspective de la prochaine conférence des Nations unies sur le climat (COP26) prévue en novembre prochain à Glasgow, l’année 2021 doit marquer le début d’une décennie d’actions massives pour faire face au changement climatique.
En Algérie, par exemple, des signaux encourageants existent comme la création, en juillet 2020, d’un ministère de la Transition énergétique, la parution récente d’un livre blanc sur l’impact des changements climatiques ou la relance du Barrage vert. Saluons également la première émission d’une obligation verte dans le pays considéré comme le plus pollueur du continent africain, l’Afrique du Sud. L’objectif y est de financer des projets climatiques à hauteur de 200 millions d’euros.
Il convient d’éviter de réduire à néant des décennies de progrès en matière de développement sur un continent, l’Afrique, première victime du réchauffement climatique. Face à l’urgence climatique, dans un contexte de soulèvement des jeunesses africaines, notamment algérienne et sénégalaise récemment, nous appelons les responsables politiques, les bailleurs de fonds, les entreprises, les citoyen.ne.s, les ONG, et tous les porteurs de projets, de Bruxelles à Alger, en passant par Dakar et Washington, à placer la question du climat au cœur du développement économique de l’Afrique. Il y a urgence à mener des politiques climatiques plus ambitieuses. Ensemble, agissons pour un monde plus durable et solidaire.
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* Kahina Yazidi est experte en évaluation des politiques de développement, à Paris.
** Mamadou Sakho est militant de l’environnement, à Dakar.