L’élection présidentielle camerounaise de 2025 a mis en lumière un paradoxe ancien au cœur de la politique en Afrique centrale : le rituel du vote sans la réalité du choix. Lorsque le président Paul Biya, âgé de 92 ans, a remporté un nouveau mandat après plus de quatre décennies de pouvoir ininterrompu, personne n’a été véritablement surpris.
Le scrutin n’a pas constitué une compétition, mais plutôt une confirmation : celle d’un système soigneusement orchestré où l’incumbence et l’autorité se confondent. Ce qui s’est déroulé à Yaoundé le 12 octobre ne relève pas uniquement du cas camerounais ; il s’agit du reflet d’une région entière où le pouvoir change rarement, sinon jamais, par les urnes.
Derrière le langage de la démocratie se cache une architecture sophistiquée du contrôle. Les commissions électorales, telle qu’ELECAM, tout comme les cours constitutionnelles, ne jouent plus le rôle d’arbitres neutres ; elles sont devenues les instruments d’un équilibre destiné à préserver les intérêts des dirigeants en place. Dans les pays voisins — le Tchad, le Gabon et le Congo-Brazzaville — le même modèle de pluralisme encadré et de compétition restreinte perdure, produisant une stabilité apparente dépourvue de légitimité réelle.
Pendant ce temps, le silence de la communauté internationale et la réticence de l’Union africaine à appliquer sa propre Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance contribuent à renforcer ce cycle d’impunité.
Cet article examine deux dimensions interdépendantes de cette crise de légitimité. La première analyse la manière dont les mécanismes institutionnels sont conçus pour assurer la continuité autoritaire sous le vernis de la procédure démocratique. La seconde interroge la complicité régionale et internationale qui normalise ces modèles de gouvernance, mettant en doute la crédibilité de l’engagement collectif de l’Afrique en faveur des principes démocratiques.
L’ingénierie institutionnelle : la démocratie sous contrôle
Depuis la création d’ELECAM en 2006, le Cameroun s’est présenté comme une démocratie dotée d’institutions électorales modernes. Pourtant, derrière cette façade institutionnelle, le contrôle politique demeure total. Le mode de nomination des membres d’ELECAM — désignés directement par le président — en fait un organe dépendant du pouvoir exécutif. Ce biais structurel permet au régime de conserver la maîtrise du calendrier, de la logistique et du dépouillement électoral, transformant ainsi l’arène électorale en un instrument de légitimation, non de compétition.
Les cours constitutionnelles jouent un rôle tout aussi déterminant dans cette mécanique du statu quo. Censées garantir la régularité des élections et la conformité constitutionnelle, elles deviennent souvent le dernier rempart d’un pouvoir refusant l’alternance. Au Cameroun comme au Congo-Brazzaville, ces juridictions valident systématiquement les résultats contestés, rejetant les recours de l’opposition pour « insuffisance de preuves », même lorsque les irrégularités sont manifestes. Cette judiciarisation sélective du processus électoral illustre une stratégie de contrôle fondée sur la légalité apparente, où la forme démocratique supplante le fond démocratique.
Ce dispositif institutionnel s’appuie également sur la fragmentation délibérée du paysage politique. L’enregistrement de multiples partis, souvent satellites du parti au pouvoir, entretient une illusion de pluralisme tout en diluant les forces d’opposition crédibles. Dans un tel environnement, la compétition électorale n’est pas supprimée, mais domestiquée : elle sert à renforcer le centre de pouvoir plutôt qu’à le contester.
Enfin, l’accès inégal aux ressources médiatiques et financières achève de verrouiller l’espace politique. Les médias publics demeurent sous contrôle gouvernemental, tandis que les voix critiques subissent intimidations, restrictions ou suspensions administratives. L’électeur camerounais, informé à travers des canaux filtrés, participe à un processus dont l’issue est déjà connue. Ce phénomène, que les politologues qualifient de « démocratie administrée », illustre la transformation des institutions en outils de stabilisation autoritaire.
La complicité régionale et internationale : la normalisation du statu quo
La crise de légitimité électorale au Cameroun ne saurait être comprise sans son environnement régional. Dans le bassin du Congo et au Sahel, la permanence des régimes constitue la norme plutôt que l’exception. Au Tchad, la succession dynastique de Mahamat Idriss Déby a consacré la continuité d’un pouvoir militaro-politique présenté comme un gage de stabilité. Au Gabon, malgré la chute d’Ali Bongo en 2023, le retour rapide à un régime de transition contrôlé par les élites militaires a révélé la résilience des structures de domination. Ces modèles convergent vers un même objectif : préserver les équilibres internes et les intérêts externes au détriment d’une véritable alternance démocratique.
L’attitude de la communauté internationale renforce cette inertie. Les partenaires occidentaux — Union européenne, États-Unis, France — oscillent entre dénonciations symboliques et pragmatisme diplomatique. La stabilité, la coopération sécuritaire et la continuité des contrats économiques priment souvent sur les exigences de gouvernance démocratique. Ce « réalisme politique » traduit une hiérarchie implicite des valeurs où la démocratie devient négociable lorsque les intérêts stratégiques sont en jeu.
L’Union africaine, pour sa part, reste en retrait. Malgré l’adoption de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, son application demeure faible et sélective. Aucun mécanisme coercitif n’a été activé pour sanctionner les violations flagrantes de cette charte, qu’il s’agisse de la manipulation des constitutions, des fraudes électorales ou des successions héréditaires. Ce silence institutionnel fragilise la crédibilité de l’Union africaine et nourrit un sentiment de désillusion parmi les citoyens du continent.
Enfin, la société civile régionale se heurte à un double obstacle : la répression interne et le désintérêt externe. Les initiatives transnationales de surveillance électorale manquent de financement et d’appui politique, tandis que les régimes autoritaires perfectionnent leurs stratégies de contrôle numérique et de désinformation. Dans ce contexte, le Cameroun n’est pas une exception, mais un symptôme d’un mal plus profond : celui d’une Afrique centrale où la démocratie se joue sans véritables électeurs et où la souveraineté populaire demeure un idéal ajourné.
Conclusion
L’élection présidentielle camerounaise de 2025 n’a pas seulement confirmé la longévité politique d’un homme ; elle a mis en lumière la persistance d’un système régional fondé sur la continuité sans alternance. En transformant les institutions électorales en instruments de gestion du pouvoir plutôt qu’en garantes de la souveraineté populaire, les régimes d’Afrique centrale ont vidé la démocratie de son contenu tout en préservant ses apparences. Le vote devient un rituel administratif où la participation remplace la véritable représentation, et où la stabilité proclamée masque une érosion silencieuse de la confiance citoyenne.
Cette crise de légitimité ne relève pas du hasard : elle s’inscrit dans une architecture de complaisance régionale et internationale. Tant que la communauté africaine et ses partenaires extérieurs préféreront le confort du statu quo à l’exigence du changement, les élections continueront d’être un théâtre politique sans surprise. L’Union africaine, en particulier, doit redonner un sens à la Charte de la démocratie qu’elle a elle-même adoptée, sous peine de voir son autorité morale s’effriter davantage.
Pour le Cameroun et ses voisins, le défi n’est plus de multiplier les scrutins, mais de redonner au vote sa valeur fondatrice : celle d’un choix réel, libre et responsable. Car une démocratie privée de choix n’est qu’un pouvoir prolongé par d’autres moyens — et le continent africain mérite mieux que cette illusion de souveraineté.






