À l’approche des élections présidentielles de 2025, les regards intérieurs et extérieurs se tournent vers le Cameroun dans un contexte d’escalade sans précédent des tensions internes qui menacent la stabilité politique et sociale du pays.
Le président Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, brigue un huitième mandat présidentiel malgré son âge avancé et sa santé déclinante, ce qui soulève des interrogations aiguës sur l’avenir du pays après plus de quatre décennies de régime à parti unique.
Ces questions se posent avec d’autant plus d’acuité que la structure politique est dominée par le parti au pouvoir et qu’il n’y a pas de véritable concurrence sur la scène électorale, ce qui fait des prochaines élections un tournant dans l’histoire politique du Cameroun et un indicateur de l’arrivée du changement ou de l’aggravation de la stagnation et des tensions dans le pays.
Dans ce contexte tendu, les mouvements internes du gouvernement apparaissent comme un facteur supplémentaire qui complique encore la situation. Les cercles de pouvoir, menés par des conseillers proches du président, ont entamé des démarches secrètes pour remodeler la constitution afin de servir la survie du régime existant et de lui donner un plus grand contrôle sur les articulations de l’État dans l’ère post-Biya.
Parmi les plus importantes mesures proposées figurent : la création du poste de vice-président comme mécanisme non annoncé pour une succession potentielle, en plus de redessiner les limites administratives et d’accroître la représentation dans les conseils législatifs et locaux. Il s’agit de mesures qui, à première vue, semblent réformistes, mais du point de vue de l’opposition, elles représentent une tentative flagrante de redistribuer l’influence en fonction des seuls intérêts du parti au pouvoir, sans parvenir à l’équilibre souhaité entre les différentes forces politiques et composantes de la société du pays.
La tension politique croissante reflète une détérioration plus large de l’environnement démocratique au Cameroun. Les arrestations arbitraires, le harcèlement des opposants et l’interdiction des manifestations pacifiques ont été répétés pour tenter de faire taire toute voix dissidente susceptible d’entraver les plans du régime au pouvoir.
Maurice Kamto, le leader de l’opposition, apparaît comme l’une des principales cibles de ces pratiques. En effet, son parti fait face à des pressions juridiques et administratives visant à l’écarter de la prochaine course présidentielle. Ces pratiques menacent non seulement le processus démocratique, mais reflètent également une tendance croissante à la militarisation de l’État, notamment à la lumière du recours aux tribunaux militaires contre des civils, ce qui suscite des inquiétudes au niveau international quant à l’intégrité du processus électoral et au respect des libertés publiques.
La crise interne qui s’aggrave au Cameroun ne peut être dissociée de son environnement régional et international. Les menaces sécuritaires découlant de l’activité des groupes extrémistes dans le nord se conjuguent avec des interventions étrangères croissantes, notamment russes, qui soutiennent les discours officiels et affaiblissent la capacité de l’opposition à faire entendre sa voix.
Au milieu du conflit en cours dans les régions anglophones et des tragédies humanitaires qui en résultent, le pays souffre d’un état de division aiguë qui menace l’unité nationale, tandis que les forêts tropicales du sud souffrent d’un épuisement environnemental et économique provoqué par les réseaux du crime organisé.
Au centre de tout cela, les prochaines élections semblent être un véritable test de la capacité du Cameroun à surmonter ses crises internes et à établir une phase de transition plus inclusive et plus juste.
Dans ce contexte, l’article tente à répondre à la question principale : l’escalade des tensions internes au Cameroun constitue-t-elle une menace pour les élections du pays et l’avenir du président camerounais ?
La réponse à cette question se trouve à travers plusieurs axes suivants :
Axe 1 : Caractéristiques de la scène camerounaise
Le Cameroun se prépare aux éventuelles élections présidentielles en 2025 dans un environnement politique complexe dominé par le président Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, ce qui fait de lui l’un des présidents les plus anciens d’Afrique. Biya, 91 ans, est considéré comme un symbole de stabilité relative malgré les interrogations croissantes sur sa capacité à continuer, notamment après son absence répétée des événements internationaux et la propagation de rumeurs sur la détérioration de sa santé.
Le paysage politique reste relativement statuquo, le parti au pouvoir, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), continue sa domination. Le parti a réussi à étendre son contrôle grâce à des amendements constitutionnels qui ont aboli la limite du mandat présidentiel en 2008. Cependant, des problèmes potentiels de succession font surface au sein de l’élite dirigeante, en particulier parmi ceux qui entourent l’épouse et le fils du président, ce qui laisse présager des conflits internes qui pourraient compliquer le transfert harmonieux du pouvoir (1).
En juillet 2024, Paul Biya a réussi à obtenir l’approbation du Parlement pour reporter les élections législatives et locales à 2026. La décision de reporter les élections législatives et locales au Cameroun à 2026 représente un changement stratégique dans le paysage politique, reflétant la tentative du régime au pouvoir de consolider sa domination avant l’élection présidentielle cruciale de 2025. Cette décision pourrait remodeler l’équilibre électoral en faveur du président. Pendant que le scrutin présidentiel se profile à l’horizon, le parti au pouvoir continue de contrôler les institutions législatives et locales, limitant ainsi les chances de l’opposition de créer à l’avance une dynamique populaire ou institutionnelle.
Et au moment où le gouvernement justifie cette décision par « la réduction de la congestion électorale », l’opposition la considère comme une mesure antidémocratique visant à affaiblir ses contestations, d’autant plus que la loi exige une représentation locale ou parlementaire pour les nominations présidentielles, ce qui accroît ses obstacles organisationnels.
En outre, le report aggrave la crise de confiance dans le régime, compte tenu notamment des antécédents du président camerounais et des accusations antérieures de fraude électorale, suscitant des craintes d’une polarisation croissante et d’une érosion de la légitimité démocratique dans un pays souffrant de problèmes sécuritaires et économiques chroniques (2).
Le Cameroun est donc confronté à des défis sécuritaires sans précédent alors que la crise séparatiste dans les régions anglophones (Nord-Ouest et Sud-Ouest) se poursuit. Cette crise s’est transformée en conflit armé depuis 2017, causant le déplacement de 700 000 personnes et détruisant des infrastructures éducatives et sanitaires.
Les tentatives de dialogue national et les initiatives gouvernementales n’ont pas réussi à contenir la crise bien que les groupes séparatistes rejettent toute solution sans négociation internationale. Cette crise exacerbe les complexités du paysage électoral. Des régions entières pourraient être privées d’une participation effective en raison de l’insécurité, et la violence risque de s’intensifier pendant la période électorale, notamment avec la possibilité que des groupes armés exploitent le vide politique potentiel pour renforcer leur influence (3).
L’économie du Cameroun connaît un déclin important malgré la diversité de ses ressources naturelles, avec une croissance projetée de 4,1 % en 2024 ne reflétant pas une amélioration des indicateurs de développement humain. 40% de la population vit sous le seuil de pauvreté, tandis que le chômage des jeunes atteint 75%, alimentant le mécontentement social.
La crise monétaire provoquée par la pénurie de pièces de monnaie aggrave également les difficultés de la vie quotidienne, tandis que des régions comme le nord souffrent des répercussions du changement climatique et d’inondations dévastatrices. Ces facteurs créent un terrain fertile pour l’instabilité, notamment avec l’augmentation des manifestations spontanées contre les prix élevés, qui affaiblissent la légitimité de l’élite dirigeante et renforcent la popularité du discours de l’opposition appelant à un changement radical (4).
L’opposition politique semble plus divisée que jamais, malgré les tentatives de former de larges alliances comme l’Alliance politique pour le changement. Les candidats de l’opposition sont confrontés à des obstacles juridiques et sécuritaires, comme l’exigence d’être député, que le –“mouvement Ennahda’’ a exclue après avoir boycotté les élections législatives.
Les partis souffrent d’un manque de financement et de restrictions sécuritaires, avec des cas croissants d’arrestations arbitraires de militants, comme dans le cas de Maurice Kamto et de ses partisans. En revanche, les autorités utilisent leurs outils institutionnels – comme la commission électorale et le système judiciaire – pour entraver le travail de l’opposition, tout en contrôlant les médias traditionnels, ce qui réduit les chances d’un changement pacifique et alimente des scénarios pessimistes quant à l’intégrité des élections (5).)
La société civile et les organisations locales jouent un rôle essentiel dans la sensibilisation aux élections en dépit des défis sécuritaires. Les campagnes d’inscription des électeurs sont menées par des initiatives telles que « Cameroon Elections », qui a enregistré 750 000 nouveaux électeurs, en mettant l’accent sur la représentation des jeunes et des femmes. Mais ces efforts suscitent des doutes quant à leur efficacité dans un environnement répressif qui restreint les libertés.
Les plateformes médiatiques ont été fermées et les journalistes arrêtés. L’Église catholique tente de jouer un rôle de médiateur à travers des dialogues nationaux, mais son influence reste limitée face à l’intransigeance des parties. Les sondages non officiels montrent un mécontentement croissant parmi les électeurs, mais cela ne se traduit pas nécessairement par un changement politique étant donné la structure électorale déséquilibrée.
Le Cameroun est confronté à une ingérence étrangère croissante, ce qui complique la situation, avec une influence russe croissante à travers des plateformes médiatiques telles qu’Afrique Media, qui promeut une rhétorique pro-gouvernementale. La France tente de maintenir son influence traditionnelle par le biais d’un soutien économique et sécuritaire, tandis que la Chine affiche une présence significative dans les projets d’infrastructures.
Ces rivalités internationales menacent d’alimenter la polarisation interne, d’autant plus que les autorités utilisent la rhétorique anti-occidentale comme un outil pour unifier les rangs. Dans le même temps, le pays subit la pression des organisations internationales pour adhérer aux normes démocratiques, mais l’absence de mécanismes de contrôle indépendants limite l’impact de ces pressions, aggravant ainsi la crise potentielle de légitimité internationale des élections (6).
Axe II : Le Cameroun à la croisée des chemins
La situation au Cameroun à l’approche des élections de 2025 reflète un entrelacement complexe de défis politiques, économiques et sécuritaires. Sur le plan politique, la poursuite du régime autoritaire menace d’alimenter le mécontentement populaire, notamment face aux demandes croissantes de changement dans un contexte de difficultés économiques et sécuritaires. Sur le plan économique, malgré quelques indicateurs positifs, les réformes restent insuffisantes pour lutter contre la pauvreté et la corruption, ce qui affaiblit les chances de parvenir à un développement durable. Sur le plan de la sécurité, les conflits armés épuisent les ressources et mettent les civils en danger constant, exacerbant ainsi la crise humanitaire. Les prochaines élections pourraient représenter un tournant décisif, mais leur succès en termes de changement réel dépend de la mise en place d’une concurrence équitable et de la fin de la répression, ce qui semble peu probable compte tenu de la domination des partis et des restrictions imposées à l’opposition. Sans relever radicalement ces défis, le Cameroun risque de rester coincé dans un cercle vicieux de crises (7).
Primo : La situation politique du Cameroun
Le Cameroun souffre de la domination continue d’un système politique unique dirigé par le président Paul Biya depuis 1982, qui est décrit comme un régime autoritaire électoral. Biya s’est appuyé sur des amendements constitutionnels, tels que l’abolition de la limitation des mandats présidentiels en 2008, pour prolonger son règne, ce qui lui a permis de remporter des élections controversées, telles que celle de 2018, qui a donné lieu à des accusations de fraude et à la répression de l’opposition.
Son parti, le Mouvement démocratique du peuple camerounais (RDPC), contrôle les institutions gouvernementales, y compris l’organe électoral et le pouvoir judiciaire, ce qui affaiblit la véritable concurrence politique. D’autre part, l’opposition est confrontée à de sérieux défis, tels que les arrestations arbitraires de ses dirigeants, comme ce fut le cas pour Maurice Kamto en 2018, et l’interdiction d’alliances politiques telles que l’Alliance politique pour le changement (APC) en 2024, ce qui réduit les chances d’une alternance pacifique.
À l’approche des élections présidentielles prévues pour octobre 2025, la crainte de voir se répéter les scénarios précédents se fait jour, d’autant plus que Biya (92 ans) vieillit et que sa santé décline, ce qui soulève des interrogations quant à son successeur potentiel. Dans le même temps, l’opposition tente d’unifier ses rangs, mais elle souffre toujours de fragmentation et d’un manque de soutien populaire généralisé.
Les restrictions à la liberté d’expression et les poursuites engagées contre des journalistes et des militants aggravent la crise de légitimité politique, en particulier à la lumière des crises sécuritaires et économiques persistantes qui sapent la confiance des citoyens dans la capacité de parvenir à un véritable changement démocratique (8).
Secundo : La situation économique du Cameroun
L’économie camerounaise a connu une légère reprise avec une croissance de 3,8 % en 2024, et l’on s’attend à ce qu’elle atteigne 4,1 % en 2025, mais elle reste vulnérable aux chocs extérieurs tels que l’inflation mondiale et les fluctuations des prix du pétrole. L’économie dépend fortement des revenus pétroliers et de l’aide internationale, tandis que 40 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, selon les données de la Banque mondiale.
Ces défis sont exacerbés par la corruption systématique ; le Cameroun est classé 140e sur 180 pays dans l’indice de perception de la corruption 2024, ce qui empêche d’attirer les investissements et nuit à l’efficacité des projets de développement.
Le gouvernement s’efforce de stimuler la croissance par des projets d’infrastructure tels que des barrages hydroélectriques et des zones économiques industrielles, comme la zone de Kribi dédiée à la transformation du cacao et du caoutchouc. Il a également lancé un plan visant à remplacer les importations agricoles afin d’assurer la sécurité alimentaire, mais les résultats ont été limités.
D’autre part, le pays souffre d’un déficit commercial important et d’une dette publique élevée, surtout depuis qu’il a été inscrit sur la liste des pays pauvres très endettés (PPTE) en 1999. Ces facteurs font que l’amélioration économique n’est pas inclusive, car les écarts sociaux restent importants et les chiffres positifs ne se traduisent pas par une amélioration tangible de la vie des citoyens (9).
Tertio : la situation sécuritaire au Cameroun
Le Cameroun est confronté à trois crises sécuritaires majeures : La crise anglophone dans le nord-ouest et le sud-ouest, les attaques de Boko Haram dans l’extrême nord et l’afflux de réfugiés en provenance de la République centrafricaine.
Depuis 2016, les manifestations pacifiques de la communauté anglophone se sont transformées en conflit armé avec la sécession du groupe Ambazonia, entraînant plus de 6 000 morts et le déplacement de 638 000 personnes. Les forces gouvernementales et les groupes séparatistes recourent à la violence contre les civils, y compris les assassinats et les arrestations arbitraires, exacerbant la haine entre les deux parties.
Dans l’extrême nord, les attaques de Boko Haram continuent de viser les civils et de recruter des enfants soldats, tandis que les organisations de défense des droits de l’homme accusent l’armée camerounaise d’abus tels que la torture et les disparitions forcées.
L’afflux de plus de 411 000 réfugiés des pays voisins a accru la pression sur les ressources locales et déclenché des conflits locaux pour la terre et l’eau. Ces crises interdépendantes affaiblissent la capacité de l’État à assurer la sécurité et renforcent la méfiance entre les citoyens et le gouvernement, d’autant plus que les accusations de corruption et de violations des droits de l’homme par les services de sécurité persistent (10).
Axe III : Les défis de l’élection présidentielle à Yaoundé
Les élections présidentielles de 2025 au Cameroun sont confrontées à des défis complexes qui représentent un véritable test de la viabilité d’une transition démocratique sous un régime autoritaire bien ancré. D’une part, les crises sécuritaires chroniques, telles que les attaques de Boko Haram dans le nord et le conflit séparatiste dans les régions anglophones, entravent la tenue d’élections inclusives. Pour cause, ces conflits ont déplacé des millions de civils et détruit des infrastructures, réduisant l’accès des électeurs aux bureaux de vote.
D’autre part, le régime au pouvoir dirigé par le président Paul Biya depuis 1982 domine la scène politique grâce au contrôle de son parti (RDPC) sur les institutions électorales et judiciaires, abolissant les limites constitutionnelles aux mandats présidentiels et truquant les élections précédentes, ce qui porte atteinte à la crédibilité du processus démocratique. L’opposition est également confrontée à une répression systématique, comme des arrestations arbitraires et l’interdiction des alliances politiques, ce qui exacerbe la polarisation et menace de provoquer des vagues de protestation (11).
En outre, les défis logistiques, tels que la difficulté d’inscrire les électeurs et le manque de cartes d’identité, entravent la participation des groupes marginalisés, tandis que la corruption systémique aggrave la crise de la gouvernance. L’impact de l’ingérence extérieure ne peut être négligé, en particulier, la propagande russe par le biais de plateformes telles qu’Afrique Media, qui remet en question la légitimité internationale et soutient le régime en place.
D’autre part, la pression internationale pour garantir l’intégrité des élections reste limitée face à la résistance de l’élite dirigeante. La probabilité d’un changement dépend de la capacité de l’opposition à s’unir, de la réponse du régime aux réformes et du soutien de la communauté internationale pour garantir la transparence du processus.
Les défis les plus importants auxquels sont confrontées les élections présidentielles sont peut-être les suivants (12).
- Crises humanitaires et sécuritaires : Le Cameroun est confronté à de graves défis sécuritaires et humanitaires qui menacent l’intégrité des élections présidentielles prévues en 2025. Neuf régions sur dix connaissent des crises qui se chevauchent, telles que le conflit du lac Tchad avec Boko Haram, la crise anglophone et la crise des réfugiés en provenance de la République centrafricaine. Ces crises ont entraîné le déplacement interne de plus d’un million de personnes, entravant l’accès des électeurs aux bureaux de vote, notamment dans les zones rurales contrôlées par des groupes armés. La violence persistante contre les civils, notamment les assassinats et les enlèvements, accroît également les inquiétudes quant à la participation électorale, notamment suite aux informations faisant état de l’utilisation de tactiques répressives par les forces gouvernementales.
- Le système politique autoritaire : Le système politique du Cameroun est considéré comme autoritaire, dirigé par le président Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, avec son parti (RDPC) dominant le pays et sur les institutions de l’État, y compris la commission électorale et le système judiciaire. La limitation du nombre de mandats présidentiels a été abolie en 2008, permettant à Biya de se présenter pour des mandats consécutifs. Le gouvernement est également accusé d’avoir truqué les élections précédentes et d’avoir réprimé l’opposition par des arrestations arbitraires et des accusations de terrorisme fabriquées de toutes pièces, comme cela s’est produit avec le candidat de l’opposition Maurice Kamto en 2018. Ces pratiques sapent la confiance des électeurs dans l’intégrité du processus électoral et augmentent la probabilité de manifestations violentes.
- Violence et groupes armés : Des groupes armés tels que Boko Haram et les séparatistes anglophones Amba Boys font obstacle aux élections dans de vastes zones. Dans le nord, Boko Haram cible les civils et utilise des enfants dans ses attaques, tandis que les séparatistes du nord-ouest et du sud-ouest imposent des couvre-feux et ferment les écoles. Cela a déplacé 700 000 enfants de l’école et détruit les infrastructures. Des rapports font également état de recrutement d’enfants par tous les partis, ce qui aggrave la crise de légitimité et rend difficile la garantie d’une participation électorale en toute sécurité dans ces régions (13)
- Défis logistiques et de gouvernance : Le processus électoral se heurte à d’importants obstacles logistiques, notamment la difficulté d’inscrire les électeurs en raison de l’absence de cartes d’identité nationales, notamment parmi les personnes déplacées et les réfugiés. En outre, le régime souffre d’une corruption systématique. En effet, le Cameroun est classé 140e dans l’indice mondial de corruption ce qui affaiblit la capacité de l’État à organiser des élections inclusives. En plus de cela , le report des élections législatives jusqu’en 2026 accroît les doutes sur les intentions du régime. Les efforts internationaux visant à améliorer la gouvernance se heurtent également à la résistance de l’élite dirigeante, qui préfère maintenir le statuquo.
- Ingérences extérieures et pressions internationales : Les élections sont soumises à des interférences extérieures, notamment à travers la plateforme Afrique Media.«« Afrique Média » qui promeut des récits pro-gouvernementaux et questionne la légitimité internationale. Pendant ce temps, des organisations comme les Nations Unies exigent des élections libres, mais le gouvernement réprime les journalistes et les militants qui documentent les violations. La crise économique, caractérisée par une croissance modeste (3,8 % en 2024) et une inflation élevée, réduit les ressources allouées aux élections, augmentant la dépendance au financement étranger, ce qui peut s’accompagner de conditions menaçant la souveraineté nationale.
- Poursuite de la répression de l’opposition dans le pays : Les militants de l’opposition et les partis politiques au Cameroun sont confrontés à une répression systématique de la part du régime au pouvoir dirigé par le président Paul Biya, au pouvoir depuis 1982 grâce à des mécanismes autoritaires. En plus d’avoir aboli la limitation constitutionnelle du nombre de mandats présidentiels en 2008, son parti (RDPC) contrôle les institutions vitales telles que la commission électorale et le système judiciaire, favorisant ainsi la fraude électorale et l’élimination des concurrents. Des lois vagues, comme la loi antiterroriste de 2014, sont utilisées pour criminaliser les manifestations pacifiques et arrêter des militants, comme cela s’est produit avec l’éminent candidat de l’opposition Maurice Kamto et plus de 200 de ses partisans en 2018, dont 41 sont toujours en détention à ce jour. Les autorités interdisent également les coalitions d’opposition, telles que l’Alliance pour le changement politique (APC), les qualifiant de « mouvements clandestins », tout en fermant les médias indépendants et en arrêtant les journalistes qui critiquent la corruption ou couvrent les abus.
Ces pratiques non seulement sapent la crédibilité du processus démocratique, mais enracinent également une culture de la peur et limitent la participation politique, en particulier à la lumière de l’escalade de la violence contre les civils dans les zones contestées, faisant des prochaines élections le reflet de la domination continue de l’élite dirigeante au détriment des droits fondamentaux (14).
Axe IV : L’avenir des élections à la lumière de la situation actuelle
Les élections présidentielles de 2025 au Cameroun apparaissent comme une étape fatidique qui déterminera le sort du système politique du pays, dans un climat instable de tensions sécuritaires, de stagnation institutionnelle et de déclin de la confiance populaire. Compte tenu de l’âge avancé du président Paul Biya et de la domination de son parti sur l’État, le pays se trouve à la croisée des chemins : Une transition démocratique progressive ou un glissement vers plus de répression et de polarisation.
Les changements constitutionnels, la répression de l’opposition et la fracture sociale sont autant d’indications que les futures élections ne seront pas simplement des élections traditionnelles, mais un véritable test de la capacité du régime à se renouveler ou à s’effondrer progressivement.
Les scénarios les plus marquants attendus à la lumière de ces conditions sont peut-être les suivants:
- Scénario 1 : La réélection de Paul Biya dans un climat antidémocratique : Le président Paul Biya est réélu pour un huitième mandat lors d’un scrutin dépourvu de transparence et de pluralisme, dans un contexte de répression continue et d’une opposition fragmentée. Ce scénario consoliderait le statuquo, renforcerait la domination du parti au pouvoir grâce au soutien extérieur de puissances comme la Russie, et ferait face à un rejet intérieur qui pourrait dégénérer en manifestations généralisées, en particulier dans les régions anglophones. Mais en même temps, cela pourrait donner à l’élite une opportunité supplémentaire de se préparer à un transfert interne de pouvoir en douceur dans le futur, sans ouvrir la voie à un véritable changement.
- Scénario 2 : Boycott de l’opposition et échec du processus électoral : Les forces d’opposition, dirigées par Maurice Kamto, ont décidé de boycotter les élections en raison des restrictions qui leur sont imposées et de l’absence de garanties même minimales. Cela conduit à des élections truquées avec des résultats prédéterminés, affaiblissant leur légitimité au niveau national et international. Cela entraîne une nouvelle érosion de la confiance dans les institutions et pourrait ouvrir la porte à une intervention extérieure ou à des vagues de violence sociale, notamment à la lumière de la colère populaire et de l’effondrement économique dans certaines zones pauvres.
- Scénario 3 : Escalade de la violence et effondrement du processus électoral : Avec l’escalade des conflits armés dans le nord et le sud-ouest, une large partie de la population est empêchée de voter et les bureaux de vote sont pris pour cible par des groupes séparatistes ou par Boko Haram. Cette situation coïncide avec une escalade de la répression contre l’opposition, ce qui oblige la communauté internationale à intervenir diplomatiquement et à demander éventuellement le report des élections ou l’imposition d’une surveillance internationale stricte. Ce scénario retarde la résolution politique et plonge le pays dans un « gel politique » qui comporte des risques sécuritaires et sociaux.
- Scénario 4 : Une transition politique soudaine en l’absence du président : Si la santé du président Biya se détériore soudainement avant les élections, le régime pourrait se retrouver contraint d’accélérer sa succession. Le poste de vice-président, s’il est approuvé, sera activé comme un mécanisme de transition non annoncé, sinon des conflits internes surgiront entre les différentes ailes du gouvernement (l’épouse du président, son fils et les chefs de l’armée). Cela entraînerait des troubles politiques majeurs, surtout si l’opposition sentait l’opportunité de participer ou si les forces de sécurité tentaient d’imposer une alternative sans consensus national, ce qui pourrait déclencher un chaos interne.
- Scénario 5 : Percée limitée et réformes superficielles : Sous la pression internationale, le régime a accepté certains changements formels, comme l’autorisation d’une concurrence politique limitée, l’ouverture partielle des médias et l’amélioration de l’inscription des électeurs. Les élections se déroulent dans un contexte de restrictions, mais avec une participation symbolique de l’opposition, ce qui leur confère un certain degré de légitimité internationale sans compromettre l’essence de l’hégémonie politique. Ce scénario permet au régime de perdurer tout en allégeant les pressions, mais il ne produit pas de réel changement et pourrait être le prélude à la répétition du cycle autoritaire lors des prochaines élections.
En conclusion, à la lumière du paysage politique, sécuritaire et économique du Cameroun, il est évident que le pays se trouve à un tournant dangereux à l’approche des élections de 2025. Malgré plus de quatre décennies de règne du président Paul Biya, les institutions de l’État sont toujours dominées par son parti, dans un contexte de répression de l’opposition et de détérioration généralisée de l’environnement démocratique.
L’escalade des crises sécuritaires, en particulier dans les régions anglophones, aggrave la fracture nationale et menace la participation populaire. Pour en revenir à la question principale de l’article : Oui, la montée des tensions internes constitue une menace réelle pour les prochaines élections, non seulement en termes d’équité, mais aussi en ce qui concerne la possibilité de les organiser. Elles jettent également une ombre sur l’avenir du président Biya, dont le maintien au pouvoir semble être un facteur d’impasse plutôt que de stabilité.
L’avenir du Cameroun dépend donc d’une réelle volonté de réforme politique globale, loin des solutions formelles et des simulacres d’élections qui ne s’attaquent pas aux racines de la crise.
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Notes :
(1)- Tiara Njamfa, Growing Pains (and Gains): How Cameroon’s Tech Scene is Jumping Through Hurdles and Prepping for Primetime, Included VC. https://medium.com/included-vc/where-growing-pains-mean-growing-gains-how-cameroons-tech-scene-is-jumping-through-hurdles-and-98b7c94ea489
(2)-Cameroon: Change is Coming but More of the Same? 2025 Elections, Africa Center for Strategic Studies. https://africacenter.org/spotlight/2025-elections/cameroon/
(3)- Inside Cameroon’s Secret Push for Constitutional Reform, The Africa Report. https://www.theafricareport.com/381363/inside-cameroons-secret-push-for-constitutional-reform/
(4)-Cameroon’s Secret Constitutional Reforms: Power Reshuffle, Vice Presidency, and the Dual Citizenship Debate, Cameroon Online. https://www.cameroononline.org/cameroons-secret-constitutional-reforms-power-reshuffle-vice-presidency-and-the-dual-citizenship-debate/
(5)-Cameroon’s President Wins Backing to Delay Legislative, Local Polls, Reuters. https://www.reuters.com/world/africa/cameroons-president-wins-backing-delay-legislative-local-polls-2024-07-09/
(6)-Head of State’s 2025 New Year Message to the Nation, Presidency of the Republic of Cameroon. https://www.prc.cm/en/news/speeches-of-the-president/7577-head-of-state-s-2025-new-year-message-to-the-nation
(7)- Cameroon: Civil Unrest – October 2025 Riot During Presidential Election, ReliefWeb. https://reliefweb.int/report/cameroon/cmr-civil-unrest-10-2025-riot-presidential-election-cameroon
(8)- تحركات سرية للإصلاح الدستوري في الكاميرون، قراءات إفريقية.
https://qiraatafrican.com/28397/تحركات-سرية-للإصلاح-الدستوري-في-الكام/
(9)- زعيم المعارضة بالكاميرون يندّد بمحاولة منعه من انتخابات الرئاسة، الجزيرة الإخبارية.
(10)-Joseph Siegle and Hany Wahila, Africa’s 2025 Elections: A Test of Credibility to Uphold Democratic Norms, Africa Center for Strategic Studies. https://africacenter.org/spotlight/2025-elections/
(11)- Cameroon: Change is Coming but More of the Same? 2025 Elections, Africa Center for Strategic Studies. https://africacenter.org/spotlight/2025-elections/cameroon/
(12- نفق مظلم: التحولات المحتملة لصحة الرعاية الصحية في الكاميرون، قراءات إفريقية.
https://qiraatafrican.com/24502/نفق-مظلم-التحولات-المحتملة-لصحة-الرعاية-الصحية-في-الكاميرون
(13)- Cameroon Country Briefing – January 2024, Squarespace.
(14)- Cameroon May Soon Lurch into Crisis. Here’s How the US Can Help Steer It Away, Atlantic Council. https://www.atlanticcouncil.org/blogs/africasource/cameroon-may-soon-lurch-into-crisis-heres-how-the-us-can-help-steer-it-away/