En contrainte et contrainte de quitter le Niger après le Mali et le Burkina Faso, la France entérine la fin d’un modèle de lutte contre le terrorisme au Sahel, ouvrant la voie à un face-à-face incertain entre régimes militaires et groupes jihadistes.
Les derniers des 1 500 militaires et aviateurs français basés au Niger devaient quitter le pays vendredi, au terme d’un long bras de fer entre Paris et les autorités militaires de Niamey. « Cela signale un échec, c’est la fin de l’engagement français au Sahel », estime Djallil Lounnas, de l’université marocaine d’Al Akhawayn. « C’est la fin des grandes interventions ».
Présente dans la région depuis 2013, la France avait déployé jusqu’à 5 500 hommes au sein de l’opération antijihadiste Barkhane, en coopération avec les armées malienne, burkinabè et nigérienne. Elle avait également obtenu le déploiement de forces spéciales de la part de partenaires européens, avec le soutien des Américains qui lui apportaient du renseignement et un soutien logistique depuis la base de Niamey.
Après une série de coups d’État, les trois capitales ont exigé le départ des Français, ce qui a marqué une profonde perte de l’influence occidentale dans la région. Du côté européen, « un engagement militaire se résumera à une coopération militaire et sécuritaire, impliquant des équipements, des formations, etc. », estime Denis Tull, de l’Institut allemand des relations internationales et de la sécurité (SWP).
Lutte contre le terrorisme
La lutte contre le terrorisme nécessitera des accords bilatéraux, notamment avec l’Allemagne ou l’Italie. Mais « les Européens veulent-ils et peuvent-ils entretenir des relations avec les régimes en place ? Il n’y a pas de consensus », ajoute-t-il à l’AFP.
Aux Etats-Unis, les équilibres des dernières années sont également remis en cause. « La majorité des efforts américains au Niger étaient en soutien à ce que faisait la France », note Michael Shurkin, expert du cabinet de conseil américain 14 North Strategies.
Washington, légalement, ne peut pas fournir une coopération en matière de sécurité aux régimes militaires. Et si aucune décision n’a été prise pour fermer sa base de drones et rappeler ses 1.500 hommes, « l’utilité de cette aide sera faible et en aucun cas elle ne remplacera ce que les Français ont apporté ».
Désormais, le seul acteur extérieur se trouve du côté de Moscou. Le groupe paramilitaire russe Wagner s’est implanté au Mali, devenant aujourd’hui la cible d’opérations et de communications des groupes jihadistes.
La société mercenaire est en pleine réorganisation depuis la mutinerie de son chef Evgueni Prigojine, puis sa mort dans un accident d’avion fin août. Mais la Russie conserve ses activités d’influence.
Alliance Sahel
Quelques dizaines d’instructeurs et formateurs militaires russes sont présents à Ouagadougou, même si les autorités n’ont pas confirmé leur présence. Et un partenariat russo-nigérian, dont les termes restent inconnus, vient d’être signé.
« La posture russe est plutôt de mentir pour conserver les positions », estime Lou Osborn, de l’ONG All Eyes on Wagner, soulignant que Moscou n’était « pas dans une position sûre et stable » actuellement. Les observateurs doutent de l’efficacité du modèle. « Je vois mal Wagner, avec quelques centaines d’hommes, faire la différence si le travail n’est pas fait par les armées locales », explique Djallil Lounnas.
« Partout où ils vont, c’est une boucherie », déplore-t-il. « Wagner gagne de l’argent avec les mines d’or et part en mission de soutien sans pertes très élevées. Si demain ça ne marche plus, ils se retireront et ils auront chassé les Occidentaux. »
L’avenir sera décidé par un face-à-face entre les jihadistes liés à Al-Qaïda et au groupe État islamique (EI) et les régimes militaires, qui ont créé l’Alliance des États du Sahel (AES) en septembre. Sa charte les engage à combattre le « terrorisme » et les lie par un « devoir d’assistance et de secours » face à toute agression.
Réponse militaire
Jean-Hervé Jézéquel, directeur du Projet Sahel de l’organisation de résolution des conflits International Crisis Group (ICG), craint que les aspects politiques de la lutte antijihadiste ne soient complètement négligés.
Les régimes sahéliens « investissent beaucoup trop dans la réponse militaire. C’était déjà le problème des décennies précédentes et il s’accentue encore », a-t-il déclaré.
Une lueur d’espoir pourrait naître des négociations avec les jihadistes, une perspective que les Occidentaux n’envisageaient qu’en se taisant le nez. Derrière le discours martial des juntes, « dans la pratique, on voit des ouvertures ici et là, officieusement », constate Jean-Hervé Jézéquel.
Si les régimes « parviennent à se convaincre que le dialogue peut être un outil complémentaire, ils auront peut-être des cartes à jouer », ajoute-t-il. Au-delà des initiatives nationales, voire locales, « on peut imaginer des négociations communes aux membres de l’AES. Mais on en est encore très loin. »