Au cœur de l’un des quartiers les plus pauvres de Nairobi, où les toits de tôle ondulée s’étendent à perte de vue dans le bidonville de Mukuru, une révolution discrète est en marche. Le collectif Wajukuu Arts, fondé il y a vingt ans par des adolescents fuyant la violence des gangs, utilise la créativité pour transformer des vies et offrir des alternatives à la criminalité à une nouvelle génération.
Créé en 2003, en pleine période d’escalade de la violence des gangs et des brutalités policières, Wajukuu (qui signifie « petits-enfants ») a vu le jour comme une initiative de survie lancée par plus de quarante adolescents.
« Dans notre communauté, on entend beaucoup d’histoires de femmes abandonnées par leurs maris, qui peinent à joindre les deux bouts », explique Lazarus Tumbuti, cofondateur du collectif, dont l’art reflète ces réalités quotidiennes.
Le collectif a constitué un refuge essentiel où les jeunes hommes pouvaient nourrir leurs ambitions et s’entraider.
Aujourd’hui, seuls quatre des fondateurs d’origine subsistent – certains sont partis, d’autres ont été victimes de violences policières – mais leur vision perdure grâce à huit artistes engagés.
L’art comme thérapie et commentaire social
Pour les artistes de Wajukuu, la créativité est à la fois une thérapie personnelle et un outil d’expression sociale.
Le cofondateur Shabu Mwangi considère l’art comme essentiel pour surmonter les traumatismes dans une communauté où les difficultés économiques contraignent souvent les parents à ignorer les souffrances émotionnelles de leurs enfants.
« Je crois que l’art leur permet d’apaiser leurs tourments intérieurs », affirme Mwangi.
Son travail dénonce les systèmes qui bafouent la dignité humaine, explorant les thèmes de l’identité, des inégalités et des conséquences durables du colonialisme.
De son côté, Ngugi Waweru crée des sculptures saisissantes à partir de couteaux et de tôles usagés, transformant des instruments de violence en œuvres d’art porteuses de sens.
Former la relève
Wajukuu, initialement un groupe de survie, est devenu un centre communautaire dynamique qui forme aujourd’hui 30 jeunes à des compétences pratiques telles que la photographie, la vidéographie et la conception web.
Grâce à ses programmes éducatifs, notamment le Club des enfants où ces derniers expriment leurs émotions par le dessin et le récit, le collectif touche 150 enfants chaque année.
Ce qui était au départ un refuge pour adolescents fuyant le recrutement par les gangs est devenu un symbole d’espoir, prouvant que dans l’un des quartiers les plus difficiles de Nairobi, les pinceaux et la créativité peuvent être de puissants outils contre la violence et le désespoir.



