En cette année 2022, les alarmes quant à l’état périlleux de la démocratie se sont fortement multipliées. En effet, celle-ci s’est sensiblement détériorée dans beaucoup de pays africains, et ce, entre autres, en raison du non-aboutissement des réformes.
Les conflits politiques entravent toutes tentatives de transition démocratique en Libye, en Tunisie, en Ethiopie, en Somalie et en Afrique Centrale, ainsi que dans d’autres pays, tandis que les putschs militaires ont mis fin à toutes activité politique à proprement parler au Tchad, au Mali, en Guinée, au Burkina Faso et au Soudan.
Et en dépit de tout le scepticisme quant à la plupart des opérations électorales en Afrique, devenues un outil aux mains des gouvernants pour se maintenir au pouvoir, les populations ainsi que les élites politiques africaines comptent énormément sur les urnes et y voient un moyen pacifique pour réaliser leurs ambitions politiques.
Durant l’année en cours, il y eut et il y aura nombres d’échéances électorales. Certaines sont confirmées, d’autres pas encore. Cet article analysera les opérations électorales les plus importantes
1. Angola
Depuis plusieurs décennies, la course au pouvoir en Angola fut l’une des plus intenses, complexes et sanglantes d’Afrique. Le chef d’Etat José Eduardo Dos Santos tenait fermement les rênes du pouvoir. Il a présidé, pendant 38 ans, le parti au pouvoir, Le Mouvement populaire pour la libération de l’Angola (MPLA). En 2017, il cède le pouvoir à son ministre de la défense João Lourenço, et ce après avoir tenu sa promesse de ne plus se porter candidat. Cette année, l’actuel Président, Lourenço, termine son premier quinquennat.
Le pays organisera, en août prochain, des élections générales, selon la Constitution de 2010. En Angola, le processus électoral est un peu différent. En effet, il n’est pas question d’élections directes, mais c’est le candidat du parti qui remporte la majorité des sièges parlementaires qui deviendra constitutionnellement le président du pays. Le parti au pouvoir a élu le président sortant comme candidat présidentiel pour un deuxième mandat consécutif.
De leur côté, les trois partis principaux d’opposition ont formé une coalition. Le Front national uni présentera, lui aussi, un candidat commun pour les échéances d’août 2022, en espérant remporter la majorité des sièges au Parlement, qui ouvre la voie vers le Palais présidentiel. L’alliance d’opposition a élu Adalberto Costa Junio, président du parti Unita, comme candidat principal face au président sortant Lourenço.
Si nous suivons de très près la scène politique angolaise, nous constatons que Lourenço est le candidat qui a le plus de chances pour présider le pays durant les cinq prochaines années. La performance du président sortant, pendant le premier mandat, a très bien été évaluée, surtout qu’il a donné plus de chance aux jeunes en politique. Lourenço a également réalisé des progrès remarquables en matière de lutte anti-corruption.
Quant à l’économie, le secteur a connu une amélioration. A cela s’ajoute le fait que l’alliance de l’opposition pourrait ne pas être en mesure de remporter la majorité au Parlement. La famille Santos a perdu toutes les chances après la retraite de l’ex-président et son éloignement de la scène politique, lui et sa fille qui se trouve à l’étranger, sans oublier la condamnation de son fils José Filomeno pour corruption.
2. Sénégal
Le Sénégal est connu pour être l’une des démocraties les plus stables de l’Afrique. Néanmoins, cela n’a pas empêché les tensions politiques qu’a connues le pays dernièrement, plus exactement lors des élections locales tenues en janvier 2022, dans lesquelles le parti de la coalition au pouvoir « Pino Boc Yakar » dirigé par « Macky Sall » et son parti « Alliance pour la République » a perdu deux villes très importantes. Il s’agit de la capitale Dakar qui a choisi Barthélémy Dias, un allié à l’opposant Khalifa Sall, ancien maire de Dakar.
La seconde ville qui n’a pas voté pour le parti au pouvoir est Ziguinchor, capitale de la région Casamance – région enflammée par les conflits armés depuis 40 ans. La ville en question a voté pour Ousmane Sonko, ancien candidat aux présidentielles. Selon certains analystes, les résultats des élections locales sont à l’image d’un référendum sur la popularité du président Sall, son parti et son alliance.
Lors de ces élections locales, l’opposition s’est présentée sous la bannière de la coalition « Yewwi Askan Wi », qui, en langue wolof, veut dire « libérez le peuple ». Les leaders de cette coalition, composée d’une vingtaine de partis et de mouvements, aspirent coopérer pour remporter les prochaines législatives, voire les présidentielles de 2024. Ladite alliance rassemble Ousmane Sonko et nombre de dirigeants dont l’ancien maire de Dakar Khalifa Sall. Les deux hommes sont des candidats potentiels aux présidentielles.
Les élections législatives qui auront lieu en juillet prochain sont un « carrefour » pour le président Sall, son parti et son alliance au pouvoir. Dans le cas où ils ne remporteront pas la majorité parlementaire, ce qui est très probable, le parti sera dans une « impasse ». En d’autres termes, si le parti au pouvoir ne remporte pas les législatives, il échouera certainement aux présidentielles. L’opposition est bien consciente de cela, d’où le fait qu’elle intensifie les efforts pour maintenir la coalition électorale.
L’opposition sénégalaise combinée s’est engagée à mener une bataille électorale contre le président Sall, son parti et son alliance pendant les prochaines législatives. Le rendez-vous électoral serait caractérisé par des incidents et des actes de violence. A ce propos, soulignons les craintes exprimées par l’opposition en cas où l’actuel président brigue un troisième mandat, profitant des amendements apportés à la Constitution lors de son 1er mandat en 2016.
Quelques mois avant les élections législatives, la scène politique ne semble pas très claire. Les mois à venir réservent probablement des surprises quant aux coalitions électorales. Aucun parti politique sénégalais ne peut à lui seul obtenir la majorité des sièges au Parlement, d’où les transactions politiques qui battent leur plein en vue de préparer ces échéances cruciales. Le prochain rendez-vous électoral marquera un tournant majeur au cours de l’expérience démocratique sénégalaise relativement stable.
3. Kenya
Les prochaines élections générales au Kenya sont probablement le rendez-vous électoral le plus chaud et le plus polémique du continent. Pour ceux qui l’ignorent, le Kenya a « un héritage douloureux » en matière d’élections, ajoutant à cela la complexité socioculturelle de la population kényane. Du coup, la structure démographique ainsi que la nature du système électoral obligent les acteurs politiques à former des coalitions pour arriver au sommet de l’Etat et partager le pouvoir. Il faut savoir qu’au Kenya, la composante ethnique est l’acteur principal du vote. Sans ses alliances et coalitions ethniques, l’opération électorale ne serait pas possible.
Au Kenya, les élections présidentielles, législatives et locales auront lieu en août prochain. Jusqu’à présent, les prévisions quant aux élections présidentielles restent difficiles. Il est même trop tôt pour se prononcer sur les mutations politiques dans le pays. Néanmoins, les luttes de pouvoir se déroulent actuellement entre deux candidats potentiels : le premier est le politicien expérimenté et opposant Raila Odinga.
Le candidat est âgé de 76 ans et il appartient à l’ethnie Luo. Le second est l’actuel vice-président William Ruto, âgé de 56 ans et appartenant à la communauté Kalenjin. Quant à la communauté Kikuyu, berceau du président en poste, Kenyatta, elle ne présente aucun candidat.
Après avoir achevé son deuxième mandat, le président sortant n’a plus le droit de se porter candidat. Soulignons ici le rapprochement – inattendu et non définitif – qui avait eu lieu en mars 2018 entre les anciens adversaires Kenyatta et Odinga. Il est très probable que les deux chefs d’Etat forment une entente électorale. Au Kenya, toutes les possibilités peuvent se réaliser, et les adversaires d’hier pourront devenir les alliés de demain.
4. Congo (Brazzaville)
En 2021, le chef d’Etat Denis Sassou Nguesso, au pouvoir depuis 1979 (excluant la période 1992-1997), est réélu. Actuellement, le pays s’apprête à organiser des élections législatives, elles auront lieu en juillet 2022. A noter que l’Assemblée nationale compte 151 sièges, élus dans des circonscriptions individuelles, à deux tours. Le Parti congolais du travail, PCT, présidé par Nguessou, a la majorité des sièges au sein de cette Assemblée, un ratio de 96/151. Selon les prévisions, le parti en question devrait garder ses sièges, et ce en absence de concurrents forts ou d’alliances électorales. Sur la scène politique, le parti concurrent le plus proche est l’Union africaine pour la démocratie sociale, qui compte seulement 8 sièges.
5. Le Lesotho
Les élections générales (législatives et locales) au Lesotho sont prévues pour septembre prochain. Le Lesotho est une monarchie constitutionnelle, dont le système est parlementaire. Les représentants à l’Assemblée nationale, composée de 120 sièges, sont élus selon le système de représentation proportionnelle mixte. Ledit système est entré en vigueur en 2002, suite à la guerre civile éclatée vers la fin des années 90, et, depuis, le processus de transformation démocratique est en marche. En 2014, le pays a connu une tentative de coup d’Etat militaire, suite à la détérioration de la situation économique du pays.
En conséquence, le Premier ministre s’est enfui en Afrique du Sud. Un an plus tard, des élections législatives anticipées ont eu lieu, et ce après des négociations menées par le groupe SADC. Ces législatives ont été remportées, avec une faible majorité cette fois, par le même parti de l’ex-premier ministre, le Congrès démocratique, ce qui l’a mené à former encore une fois un gouvernement de coalition.
En 2017, alors que les conditions économiques se sont améliorées, l’opposition réussit à retirer la confiance au Premier ministre et organise à nouveau des élections anticipées. Cette fois-ci, le parti d’opposition, La Convention de tous les Lesotho, gagne les élections, mais avec une faible majorité, lui aussi. Le parti forme à son tour un gouvernement de coalition.
Le prochain rendez-vous électoral de l’Assemblée nationale se tiendra dans un cadre spécifique, caractérisé par les mesures sanitaires dues à la Covid-19. Il est très probable, cette fois-ci encore, que les partis principaux ne remportent pas la majorité des sièges parlementaires, ce qui va mener à la formation d’un gouvernement de coalition pour une énième fois.
6. Sao Tomé-et-Principe
Sao Tomé-et-Principe est l’une des démocraties les plus stables que compte le continent africain. La nature du système politique est semi-présidentielle, et l’alternance au pouvoir se fait fréquemment et pacifiquement. En juillet 2021, durant les échéances présidentielles, aucun des candidats n’a pu remporter la majorité des voix au premier tour. Reporté à cause des objections sur les résultats, le second tour a eu lieu en septembre, et c’est Carlos Vila Nova, du parti Action démocratique indépendante, qui est le nouveau président.
Malgré le fait que le parti en question remporte la majorité au sein de l’Assemblée générale depuis 2010, il n’a pas toutes les prérogatives pour former un gouvernement. Celui-ci est désigné par le président de la République qui doit tenir en compte les résultats des élections parlementaires, et ce selon l’article 98 de la Constitution. Par ailleurs, le parti du Mouvement pour la libération de Sao Tomé et Principe (parti social-démocrate) occupe toujours la deuxième place, réduisant l’écart de sièges à seulement deux lors des dernières élections en 2018.
Ce qui a aidé à cela, c’est le fait que l’ancien président lui appartenait. Les élections ont eu lieu dans son mandat. Le parti Action démocratique indépendante gardera sûrement sa première place au Parlement vu que l’actuel Président appartient à ce parti qui pourrait même augmenter ses sièges au détriment de son adversaire traditionnel, le Mouvement pour la libération de Sao Tomé.
7. Gambie
Fin décembre 2021, en Gambie, il y a eu des élections présidentielles remportées par Adama Barrow. Lors de sa première candidature en 2016, Barrow a été soutenu par une coalition de sept partis d’opposition. Il a donc gagné face à l’ancien président Yahya Jemmeh – Barrow était à la tête du Parti démocratique unifié, qui dirigeait l’alliance. En fin 2019, et à cause du conflit qui l’opposait à son chef-adjoint, Ousainou Darboe, il a lancé un nouveau parti politique appelé Parti national du peuple, et ce, en préparation des présidentielles de décembre 2021 et des législatives d’Avril 2022.
Les premières indications montrent que le parti de Barrow pourrait entrer en coalition électorale, et, dans tous les cas, il remportera, sans efforts, la majorité des sièges de l’Assemblée nationale lors des prochaines élections.
La démocratie recule et les élections sont incertaines
Depuis plus d’une année, la démocratie, dans plusieurs pays africain, connaît un recul important, chose qui a suscité des inquiétudes largement discutées lors du 35ème Sommet de l’Union africaine, en février passé.
Les dirigeants africains se sont mis d’accord sur la tenue d’un sommet extraordinaire pour cette année, en attendant de fixer la date. Quant à l’ordre du jour, il tournera principalement autour des changements anticonstitutionnels des gouvernements et de la lutte anti-terrorisme.
Le sommet interviendra après la « contagion » des coups d’État militaires sur le continent : des militaires qui accaparent le pouvoir au Tchad, deux coups d’État successifs au Mali, un autre au Soudan, un autre en Guinée, un autre au Burkina Faso, deux tentatives de coups d’État au Niger et en Guinée-Bissau, une guerre civile en Éthiopie, une situation turbulente qui menace de conflit armé en Somalie et en Libye, un coup d’État constitutionnel en Tunisie…. et c’est ainsi que ces évènements menacent la démocratie naissante ou dormante dans ces pays.
En cette année 2022, nombreuses sont les échéances électorales prévues et qui ne sont pas encore toutes confirmées. Certaines ne seront probablement pas tenues cette année. C’est le cas en Libye, au Soudan, en Tunisie, en Somalie et en Guinée équatoriale. D’autres ont été annulées, comme au Mali, au Tchad, en Guinée et au Burkina Faso.