Dimanche 25 juillet, au milieu des déclarations concernant l’allègement des restrictions liées au Covid, le président Cyril Ramaphosa a annoncé le retour d’une autre mesure très attendue : l’allocation d’aide contre la détresse sociale, ou « allocation Covid », jusqu’à mars 2022. Cette allocation d’urgence liée à l’épidémie avait été mise en place en mai 2020, à destination des chômeurs qui ne touchent pas d’autres aides, bénéficiant à près de 6 millions de personnes (sur les 9 millions qui en avaient fait la demande). Un chiffre éloquent qui illustre le niveau de détresse dans ce pays où plus de 30 % des habitants sont au chômage. Le versement de l’allocation avait pourtant pris fin en avril 2021, alors que le pays s’apprêtait à être violemment touché par une nouvelle vague de contaminations. Une décision critiquée par de nombreux représentants de la société civile.
Le retour de « l’allocation Covid » est donc globalement salué, malgré des limites manifestes. 350 rands, à peine 20 euros, c’est très en dessous du seuil de pauvreté alimentaire (fixé en Afrique du Sud à 585 rands, soit 35 euros par mois). Conséquence : « Celui qui reçoit les 350 rands est toujours pauvre et n’a même pas la somme minimale pour se nourrir », pointe Mikhail Moosa, chef de projet à l’Institut pour la justice et la réconciliation. Il déplore « une bonne idée, mais avec une piètre exécution. Il est essentiel que les Sud-Africains sans emploi aient accès à l’assistance sociale de l’État, car cela fait bien trop longtemps qu’ils sont exclus de la plupart des allocations sociales existantes. Mais le montant est très loin d’apporter un soutien correct aux bénéficiaires. »
350 rands : pas assez pour s’en sortir
À 23 ans, Lunga Mtsweni est l’un des très nombreux Sud-Africains à réclamer une aide plus conséquente. Étudiant en ingénierie mécanique à Johannesburg, il a touché « l’allocation Covid » jusqu’en avril. « Nous devrions avoir plus, le taux de chômage est très élevé et le confinement n’a pas aidé, les entreprises n’embauchent pas et le gouvernement ne crée pas d’emplois pour les jeunes ». Les 350 rands d’allocation font pâle figure face à son loyer de 3 800 rands (224 euros) auxquels s’ajoutent 1 500 rands (90 euros) de dépenses alimentaires chaque mois. Pour s’en sortir, Lunga touche de l’argent de ses parents (« mais ils n’ont pas eu d’augmentation de salaire depuis 2019, et le coût de la vie ne cesse d’augmenter »), boursicote un peu et cumule les jobs étudiants qui, eux aussi, se font rares depuis l’épidémie.
Pour ceux qui n’ont aucune source de revenu, la situation est encore plus tendue. Si l’allocation apporte un soutien à ceux qui, autrement, n’auraient aucune source de revenu, son faible montant est dénoncé à coups de visuels éloquents : « Les Sud-Africains doivent choisir entre 23 pains et 20 litres d’essence », « 350 rands c’est un mois de couches », ou encore « 16 conserves de sardines pour une famille ». « 350 rands par mois, c’est une honte ! », s’insurge Benjamin Chisari, activiste pour le Covid19 People’s Coalition, un mouvement créé pour veiller à la prise en compte des Sud-Africains les plus défavorisés dans la gestion de l’épidémie. « Ça devrait être au moins 1 000 rands pendant la crise », réclame-t-il, rappelant que le seuil de pauvreté s’élève à 1 268 rands, si l’on ne prend pas seulement en compte l’alimentaire. Un seuil sous lequel vivent aujourd’hui plus de la moitié des Sud-Africains.
Un accès à l’allocation à améliorer
« L’allocation Covid » a aussi fait des mécontents concernant son accessibilité. Dans un rapport, l’organisme de défense des droits humains Black Sash pointe ainsi du doigt les problèmes rencontrés par les candidats. Par exemple, des formulaires accessibles uniquement en anglais, dans un pays qui compte pourtant 11 langues officielles et où l’anglais n’est pas la langue maternelle de la plupart des habitants les plus pauvres. Autres obstacles : l’accès à Internet (les demandes d’allocation se faisant uniquement en ligne), de longs délais de traitement des demandes et des difficultés matérielles pour récupérer l’allocation.
Si pour l’instant ces limites restent d’actualité, une inégalité d’accès qui touchait surtout les femmes sera, elle, corrigée. En effet, la nouvelle « allocation Covid » pourra désormais être cumulée avec l’allocation d’aide aux enfants, ce qui était jusque-là impossible. Or ce sont presque toujours les mères qui touchent cette aide. « La prise en compte de cet oubli est particulièrement bienvenue, salue Mikhail Moosa, de l’Institut pour la justice et la réconciliation. Les femmes ont été les plus touchées par la pandémie, et ce sont donc elles qui ont le plus besoin de ce soutien financier. »
« L’allocation Covid », tremplin vers un revenu de base ?
« Il faut que ça devienne permanent, et là ça serait soutenable », réclame Benjamin Chisari, activiste pour le Covid19 People’s Coalition. Cette idée d’un revenu universel n’est pas une nouveauté. Familièrement appelé BIG par ceux qui le revendiquent (pour basic income grant), cela fait 20 ans qu’il est régulièrement mis sur la table. Mais l’épidémie lui a donné un nouvel élan, et un an « d’allocation Covid » a montré que, malgré ses limites, ce revenu de base avait permis une légère diminution des inégalités. Le gouvernement est d’ailleurs désormais ouvert à une pérennisation de l’aide, malgré des réticences concernant son coût. Cyril Ramaphosa avait ainsi déclaré en janvier 2021, lors du 109e anniversaire de l’ANC, souhaiter instaurer ce revenu de base d’ici la fin de l’année.