Sur un continent où l’âge médian est inférieur à 20 ans (baromètre mondial), deux dirigeants octogénaires et nonagénaires, Alassane Ouattara (Côte d’Ivoire) et Paul Biya (Cameroun), viennent de prolonger leur mandat présidentiel suite à leurs victoires électorales d’octobre dernier.
Leurs victoires ont ravivé un débat que beaucoup d’Africains ressentent vivement : le fossé générationnel entre un leadership vieillissant et une population majoritairement jeune.
Biya, 92 ans, a remporté l’élection présidentielle camerounaise avec 53,66 % des voix, s’assurant ainsi un huitième mandat, selon le Conseil constitutionnel. Son principal rival, Issa Tchiroma Bakary, a revendiqué sa victoire, alléguant des fraudes et faisant état d’un soutien de 54,8 % selon des données électorales partielles. Les résultats contestés ont déclenché des manifestations dans tout le Cameroun, avec des affrontements dans des villes comme Douala et Garoua.
En Côte d’Ivoire, Ouattara, 83 ans, a été réélu avec 89,77 % des voix. Les principales figures de l’opposition, dont l’ancien président Laurent Gbagbo, n’ont pas pu se présenter, ce qui soulève des questions quant à la compétitivité du scrutin.
La faible participation a été constatée et les critiques ont qualifié le processus de « vol politique », reflétant la frustration des jeunes Ivoiriens, qui voient leur voix largement exclue du débat politique.
L’histoire des chiffres
C’est ici que la tension générationnelle entre en jeu. Selon une étude du World Barometer, l’âge médian de la population camerounaise est de seulement 18 ans, contre 19 ans en Côte d’Ivoire. Par ailleurs, les deux présidents sont octogénaires et nonagénaires et sont au pouvoir depuis des décennies : Biya depuis 1982, Ouattara depuis 2011.
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Ce fossé générationnel alimente la frustration des jeunes, en ligne et dans la rue : les dirigeants qui prennent les décisions pour leur pays ont souvent plus de quarante ans de plus que la majorité des citoyens.
Des électeurs font la queue pour voter lors de l’élection présidentielle dans un bureau de vote à Cocody, en Côte d’Ivoire, le samedi 25 octobre 2025.
Des électeurs font la queue pour voter lors de l’élection présidentielle dans un bureau de vote à Cocody, en Côte d’Ivoire, le samedi 25 octobre 2025. Diomande Blé Blonde/Copyright 2025 The AP. Tous droits réservés.
Voix de la jeunesse
Les réseaux sociaux sont devenus un moyen privilégié pour les jeunes Africains d’exprimer leur mécontentement. Sur Twitter et TikTok, des hashtags comme #YouthVsOldGuard sont devenus populaires dans les deux pays. Étudiants, jeunes professionnels et membres de la diaspora ont partagé des mèmes, des vidéos et des commentaires déplorant le décalage entre le leadership et les priorités de la jeunesse.
Au Cameroun, des étudiants ont organisé de petites manifestations à Yaoundé et Douala, réclamant des élections équitables et un changement générationnel. Ces mouvements, principalement axés sur le numérique, reflètent un sentiment plus large : les jeunes Africains veulent des dirigeants qui reflètent leur profil démographique et comprennent leurs défis.
Réaction des jeunes sur X
@nanotshi – « Félicitations aux Camerounais d’avoir confié leur avenir et celui de leurs enfants à quelqu’un qui ne fera pas partie de l’avenir du Cameroun.»
@OpinionOrb – « Un huitième mandat à 92 ans. Cela soulève une grande question : devrait-il y avoir une limite d’âge obligatoire ou une limite de mandat pour les dirigeants mondiaux ? Qu’en pensez-vous ? »
@dramadelinquent – « L’Afrique et son amour des vieux présidents. »
@lweiiiii – « Paul Biya, 92 ans, réélu pour un huitième mandat ? Qui, sain d’esprit, vote pour cela ? Il y a un sérieux problème au Cameroun. »
Pas seulement un problème africain
Ce phénomène semble plus fréquent en Afrique en raison de la jeunesse de sa population, mais le vieillissement des dirigeants est un phénomène mondial. Xi Jinping en Chine et Vladimir Poutine en Russie, tous deux septuagénaires, ont longtemps conservé le pouvoir.
Même dans les démocraties les plus anciennes, les questions d’âge et de compétences, comme celles qui entourent le président américain Joe Biden, font partie du débat public et influencent parfois les votes.
Cependant, le cas de l’Afrique est extrême : l’écart d’âge se conjugue à des systèmes électoraux où l’opposition est limitée, ce qui rend le changement générationnel politiquement difficile.
Pourquoi les anciens présidents continuent de gagner
Plusieurs facteurs expliquent le maintien au pouvoir de dirigeants comme Biya et Ouattara :
Les partis des deux présidents exercent une forte influence sur les commissions électorales, les forces de sécurité et les médias d’État. Par ailleurs, les cadres juridiques, les modifications constitutionnelles et les interprétations juridiques ont permis à chacun de prolonger les mandats au-delà de ce qui était auparavant possible.
Les partisans des deux présidents affirment que la continuité est source de stabilité, en particulier dans les pays ayant connu des troubles civils.
La disqualification des principaux rivaux et la faiblesse des alternatives politiques créent un paysage électoral déséquilibré.
Cette combinaison de mécanismes politiques, d’ajustements juridiques et d’une opposition contrôlée aide les dirigeants à relever avec succès les défis électoraux, même si la frustration des jeunes s’accroît.
Perspectives d’avenir
Alors que l’âge médian en Afrique reste inférieur à 20 ans, les tensions entre les anciens dirigeants et les jeunes populations ont peu de chances de disparaître.
Le débat sur le renouvellement des dirigeants, la planification de la succession et la représentation générationnelle devient central pour l’avenir politique du continent.
Biya et Ouattara ne sont pas seulement des dirigeants, ils sont les symboles d’un système où la longévité et la continuité politiques priment sur le changement générationnel.
La question de savoir si les jeunes Africains continueront de militer pour des réformes ou s’adapteront au statu quo déterminera la prochaine décennie politique sur le continent.




